IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Étude visant à mieux guider l’évaluation des risques des travailleurs exposés aux nanoparticules (NP) : existe-t-il différentes propriétés inflammatoires des NP liées au sexe?

Résumé

Les nanotechnologies offrent un important potentiel d’exploitation dans des secteurs industriels variés, pour lequel les bénéfices financiers ne sont pas négligeables. À l’instar des provinces canadiennes et de nombreux pays industrialisés, le Québec voit un nombre grandissant de compagnies produisant des nanomatériaux et des nanoparticules (NP) se développer, sans oublier celles qui introduisent de plus en plus de NP dans leurs produits. Le nombre de travailleurs québécois œuvrant dans la fabrication et dans la synthèse des NP augmentera dans les années à venir. De plus, le nombre de travailleurs appelés à manipuler et à transformer des NP dans les domaines des nanotechnologies en général ne fera que s’accroitre. Ainsi, il est à prévoir que cet engouement pour les nanotechnologies provoquera une augmentation du nombre de travailleurs potentiellement exposés aux NP, une exposition à laquelle le grand public n’échappera pas, sachant que déjà des milliers de produits à usage courant contiennent des NP. Les conclusions d’une littérature dynamique, riche et en expansion indiquent clairement qu’une exposition aux NP représente certains risques pour la santé. Bien que ces travaux de recherche recensent plusieurs dangers d’une exposition aux NP (effets cytotoxiques ou génotoxiques, stress oxydatif, cancers, etc.), l’inflammation demeure parmi les effets néfastes les plus souvent répertoriés.

L’inflammation est une réponse biologique tout à fait normale qui survient, par exemple, lors d’une infection et qui est connue pour se résorber par elle-même lorsque la personne est en bonne santé. Toutefois, une mauvaise régulation de l’inflammation peut mener à plusieurs sortes de maladies et désordres du système immunitaire comme l’asthme, certaines allergies et l’arthrite pour ne nommer qu’elles. En fait, pratiquement toutes les maladies humaines possèdent une composante inflammatoire à une certaine étape durant leur développement. La réponse inflammatoire est une réponse complexe, faisant intervenir plusieurs médiateurs et cellules comme les leucocytes ou globules blancs. Parmi ces derniers, les neutrophiles (NT) et les éosinophiles (EO) sont connus pour exercer un rôle majeur lors de l’inflammation. Par leur petitesse, il y a de fortes chances que des NP présentes dans un environnement puissent être inhalées pouvant ainsi engendrer des maladies inflammatoires des poumons chez des travailleurs ou encore exacerber des maladies déjà existantes. En effet, plusieurs études menées chez l’animal exposé à des NP in vivo démontrent la présence accrue de NT ou EO dans les lavages bronchoalvéolaires et les poumons. En plus de la voie par inhalation, la présence de certaines NP dans une gamme grandissante de produits à usage courant, les personnes peuvent être exposées par diverses autres voies comme par contact cutané et même par ingestion. Ainsi, il devient inévitable que les NP puissent se frayer un chemin par la circulation sanguine ou à travers les divers tissus et interagir directement avec les NT ou EO.

Des travaux récents indiquent clairement d’ailleurs que les NP ont la capacité d’altérer la biologie des NT et des EO. Contrairement aux quelques études menées chez l’animal, et bien que plusieurs NP possèdent des propriétés inflammatoires in vitro, aucune donnée portant sur différents effets inflammatoires des NP entre les sexes chez l’humain n’est disponible. Visant à combler cette lacune et à élargir le champ des connaissances dans ce domaine, la présente étude a été menée en utilisant des NT et des EO obtenus à partir d’échantillons sanguins de femmes et d’hommes consentants et en bonne santé. Les cellules ont été traitées in vitro avec différentes NP auxquels les travailleuses et travailleurs québécois risquent d’être exposé(e)s afin d’évaluer les capacités modulatoires de plusieurs fonctions, toutes reliées au processus inflammatoire. Parmi ces fonctions, la capacité des NP à affecter l’apoptose, la production de dérivés réactifs de l’oxygène (ROS), la phagocytose, la production de certaines cytokines, l’adhérence et la migration par les NT et EO a été déterminée. En utilisant une telle approche expérimentale, il a été possible de dresser un tableau montrant les effets différentiels des NP sur la biologie des NT et EO selon le sexe. L’ensemble des données et des observations relevées ici permettent de démontrer certaines différences entre les sexes. Toutefois, aucune différence majeure allant à l’opposée entre les sexes, c.-à-d. qu’une NP ne va pas activer une réponse chez les NT et/ou EO mâles et l’inhiber ou la renverser chez les NT et/ou EO femelles. En général, lorsqu’une NP augmente ou diminue une fonction ou une réponse donnée, une analyse des résultats en tenant compte du sexe des donneurs et donneuses révèle que ce sont préférentiellement les cellules obtenues d’échantillons sanguins féminins qui sont davantage affectées. Ainsi, bien que cela soit au niveau cellulaire plutôt qu’un organisme entier, les NP semblent agir plus intensément sur les cellules du sexe féminin. Cela corrobore bien avec le dimorphisme sexuel observé pour le système immunitaire humain où les femmes possèdent une réponse immunologique plus intense.

Les retombées de cette étude effectuée avec des cellules isolées d’individus sains sont multiples. L’une d’elles est l’acquisition d’informations nouvelles qui pourront contribuer à l’avancement des connaissances sur les effets des NP sur la santé. Collectivement, les résultats et les observations de cette étude, combinés à ceux qui seront décrits par d’autres équipes étudiant différentes facettes de la toxicité des NP, permettront d’aider à la prise de certaines décisions sur le plan de la gestion des risques liés à une exposition des travailleurs aux NP. En plus d’augmenter l’état des connaissances sur le mode d’action et les effets biologiques des NP en lien avec l’inflammation, et de former du personnel hautement qualifié dans ce créneau de recherche, l’approche expérimentale développée ici démontrant que les NT et les EO peuvent réagir différemment selon le sexe, aideront à mieux utiliser éventuellement des NP dans diverses stratégies thérapeutiques et à pousser davantage vers une médecine personnalisée. Également, cette étude peut certes servir de tremplin pour aider à améliorer les procédures actuelles visant à réglementer l’utilisation plus sécuritaire des NP en milieu de travail. À plus long terme, les retombées de cette étude effectuée avec des cellules isolées d’individus sains n’étant pas des travailleurs ou des individus potentiellement ou volontairement exposés aux NP peuvent aider à éclairer davantage une prise de décision pour utiliser, avec entente, les cellules obtenues du sang de certains travailleurs ciblés selon une exposition aux NP, afin d’étudier les fonctions des NT ou des EO qui pourraient avoir des réponses fonctionnelles disproportionnées selon le sexe.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Marion Vanharen
  • Abdelaziz Saafane
  • Alexanne Léveillé
  • Thomas Mahbeer
  • Denis Girard
Projet de recherche : 2017-0044
Mis en ligne le : 15 décembre 2022
Format : Texte