IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Développement préliminaire d’une règle de prédiction clinique pour dépister les patients ayant une lombalgie non aiguë répondant favorablement à un programme d’exercice de stabilisation lombaire

Résumé

Les exercices physiques permettent de réduire la douleur et les incapacités chez les gens souffrant d’une lombalgie non aiguë (> 3-4 semaines), mais ces effets sont relativement limités. Pour rehausser l’efficacité de ce type d’intervention, nous devons déterminer pour quels patients chaque modalité d’exercice est la plus efficace (arrimage patient/intervention) et pour quelles raisons (mécanismes sous-jacents). Dans la présente recherche, nous nous intéressons aux exercices de stabilisation lombaire, une modalité active d’exercice gagnant en crédibilité et en popularité. Trois objectifs spécifiques ont été poursuivis : (1) initier le développement de règles de prédiction clinique (RPC) de succès et d’échec pour dépister, lors de l’examen clinique, les patients qui répondront bien ou pas du tout à ces exercices; (2) étudier les mécanismes (d’origines neuromusculaire et psychologique) mis en action par ces exercices à l’aide de mesures plus spécifiques permettant de décrire les effets du traitement; (3) évaluer la fidélité test-retest de moyenne durée (8 semaines) des mesures neuromusculaires chez des sujets sains.

Une cohorte totale de 130 patients lombalgiques n’étant plus en phase aiguë (4 semaines post-lésion) est nécessaire pour développer les RPC. Cependant, nous avons évalué 48 patients dans cette étude préliminaire, cela afin de pouvoir justifier, avec des résultats probants, la continuation du recrutement nécessaire (80 patients supplémentaires) pour la dérivation des RPC. Le programme d’exercice était réalisé sur 8 semaines (2 séances/semaine) dans des cliniques de physiothérapie, sans co-intervention. Les principales mesures de résultats [douleur; perceptions d’incapacité (échelle Oswestry)], de même que plusieurs mesures par questionnaire (mesures psychologiques [PSY] associées à la douleur et à l’adhésion au traitement), ont été recueillies au début (T0), aux semaines 4 (T4), 8 (T8 - fin) du programme d’exercice ainsi qu’à six mois post-traitement. Les autres mesures réalisables en milieu clinique et donc susceptibles d’être retenues pour le développement des RPC (objectif 1), soient les tests physiques (mesures de l’examen clinique en physiothérapie [PHT]) faits à l’aide d’un examen clinique, ont été réalisées à T0 et T8. Ces tests physiques comprenaient des tests d’instabilité articulaire (n = 4), de flexibilité (n =  6), de déficiences du contrôle moteur (n = 8), de performance physique (n = 4) et d’endurance musculaire (n = 3). Six tests en laboratoire ont aussi été réalisés à T0 et T8 pour étudier les mécanismes d’action d’origine neuromusculaire (mesures neuromusculaires [NRM]; pour l’objectif 2), chez un sous-échantillon de 32 patients. Ces six tests étaient les suivants : (1) épaisseur et activation des muscles profonds du tronc avec l'imagerie par ultrasons, (2) proprioception lombaire, (3) équilibre postural du tronc en position assise sur une chaise instable, (4) rigidité lombaire, (5) ajustements posturaux anticipatoires (APA), (6) coordination du tronc. Dans le but d’évaluer la fidélité test-retest (objectif 3), ces tests ont aussi été réalisés dans le même intervalle de temps (8 semaines) avec un échantillon de 30 sujets sains.

Analyses et résultats en lien avec l’objectif 1 (développement des RPC) : La dérivation préliminaire des RPC a donné des résultats assez probants, sur les plans statistique et théorique, pour proposer de compléter le recrutement des patients nécessaires pour obtenir des RPC plus robustes, avec des intervalles de confiance plus resserrés. La RPC de succès a retenu deux variables de l’examen physique, permettant d’atteindre une précision globale de 81 % et disposant des statistiques prédictives suivantes : sensibilité : 94 %; spécificité : 50 %; rapport de vraisemblance positif (LR+) : 1,9; rapport de vraisemblance négatif (LR-) : 0,13. Ces deux tests consistent (1) à demander au patient, en position debout, de tenir une légère charge près du corps, à la hauteur des épaules, pour ensuite allonger les bras à l’horizontale vers l’avant jusqu’à la limite de la tolérance, pour en mesurer la distance et (2) à effectuer un test de provocation où le thérapeute produit une abduction et rotation latérale de la hanche, en décubitus dorsal. La RPC d’échec a été constituée de la courbure lombaire et du sexe, permettant aussi d’atteindre une précision globale de 81 % et disposant des statistiques prédictives suivantes : sensibilité : 50 %; spécificité : 93 %; LR+ : 7,8; LR- : 0,53. Les variables de nature psychologique ont été considérées dans une deuxième vague d’analyses, mais n’ont pu contribuer à l’élaboration d’une RPC de succès. Par contre, la dramatisation de la douleur a été ajoutée à la RPC d’échec, rehaussant sa précision globale à 88 % et disposant des statistiques prédictives suivantes : sensibilité : 83 %; spécificité : 90 %; LR+ : 8,6; LR- : 0,18. La RPC de succès offrait une excellente sensibilité (94 %) et les deux RPC d’échec une excellente spécificité (³ 90 %), ce qui représente une combinaison souhaitable pour ce type d’intervention. Les prédicteurs retenus pour les deux RPC (succès et échec), bien que différents des prédicteurs établis dans une étude préliminaire antérieure menée par un autre groupe (Hicks et al., 2005), semblent en accord avec la théorie sous-jacente à ce programme d’exercice. Par contre, les intervalles de confiance associés aux statistiques des RPC étaient très larges, comme attendu avec ce faible échantillon de patients. L’ajout de patients permettrait de confirmer l’entrée de ces variables ou d’en faire reconnaître de nouvelles, ainsi que de resserrer ces intervalles de confiance.

Analyses et résultats en lien avec l’objectif 2 (étude des mécanismes d’action) : Les analyses de variance (ANOVA) et corrélationnelles ont permis de faire ressortir des effets statistiquement significatifs pour certaines variables de chaque catégorie de mesure (PHT, PSY, NRM), ainsi que plusieurs tendances dans les résultats (0,05 < P < 0,10), suggérant que le recrutement de patients additionnels permettrait de vérifier plusieurs hypothèses. En effet, les effectifs n’étaient pas suffisants pour permettre de tester avec suffisamment de puissance statistique la présence d’interaction SOUS-GROUPE (succès par rapport à échec) ´ TEMPS (T0 par rapport à T8), notamment pour les mesures NRM qui n’ont pu être recueillies que chez un sous-échantillon (n = 32) de la totalité des patients (n = 48). L’étude des mesures PSY a permis de comprendre qu’il n’est peut-être pas possible de prédire l’adhésion au programme d’exercice à la maison avec des mesures prises à T0, c’est-à-dire sans tenir compte du temps, ce qui pourrait expliquer la raison pour laquelle une seule variable PSY a été retenue dans la RPC d’échec et aucune dans la RPC de succès. Parmi les mesures NRM, celles obtenues avec l'imagerie par ultrasons (épaisseur et activation des muscles profonds) et les mesures d’équilibre postural en position assise ont été les plus sensibles au changement de l’incapacité et de la douleur.

Analyses et résultats en lien avec l’objectif 3 (fidélité des mesures neuromusculaires) : Dans l’ensemble, les résultats obtenus inspirent confiance dans certaines de ces mesures pour l’étude des fonctions neuromusculaires lors d’un programme de réadaptation. En effet, les résultats de fidélité obtenus sont acceptables pour certaines mesures, avec des coefficients de corrélation supérieurs à 0,75, et passables pour d’autres. Peu de mesures ont démontré une mauvaise fidélité. Ainsi, pour chaque test ou presque, il est possible de retenir un sous-ensemble de mesures plus fidèles. Deux tests NRM (proprioception lombaire, équilibre postural) ont démontré des signes d’apprentissage de la tâche entre les deux sessions de mesure. Cet apprentissage était assez important pour remettre en question le test de proprioception. Heureusement, tel n’était pas le cas pour le test d’équilibre postural où cet apprentissage était beaucoup moindre et même, négligeable. Il est à noter qu’une étude aussi exhaustive de la fidélité, réalisée non seulement avec une batterie aussi complète de tests NRM (n = six tests), mais aussi avec un intervalle de temps équivalent à un programme de réadaptation (8 semaines), est effectuée pour la première fois dans le domaine. Ces mesures seront utiles pour évaluer l’effet de différentes interventions.

En conclusion, les résultats découlant de cette ambitieuse étude préliminaire permettent de recommander le recrutement des 80 patients nécessaires à la dérivation finale des RPC et à l’étude des mécanismes sous-jacents à ce programme d’exercice de stabilisation lombaire.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Christian Larivière
  • Marie-France Coutu
  • Sharon M. Henry
  • Richard Preuss
  • Dany Gagnon
  • Jean-Pierre Dumas
  • Michael JL Sullivan
Projet de recherche : 2010-0022
Champ de recherche : Réadaptation au travail
Mis en ligne le : 11 octobre 2016
Format : Texte