IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Exposition à des agents pouvant causer l’asthme professionnel - Utilisation du test d’activation des basophiles pour l’identification précoce de la sensibilisation allergique chez les travailleurs

Résumé

L’asthme professionnel est un type d’asthme causé par un agent présent dans les milieux de travail. Le type principal d’asthme professionnel est celui qui est causé par le développement d’une « allergie » à certains agents présents dans le milieu de travail. La mise en évidence de cette « allergie » est une étape essentielle de l’investigation clinique ou de l’élaboration de programmes de prévention. En effet, la maladie ne peut, par définition, être présente s’il n’existe pas d’allergie démontrée. Dans l’état actuel des connaissances, l’allergie, celle de type immédiate associée à une sensibilisation avec la formation d’immunoglobulines de type E (IgE) spécifiques à un allergène donné, peut être mise en évidence par des tests cutanés d’allergie pour les agents protéinés, agents dits de haut poids moléculaire (HPM; par exemple, les farines). Or, les allergènes utilisés pour ces tests ne sont pas «  standardisés  ». De plus, il n’existe pas de tests d’allergie pour la vaste majorité des agents chimiques, agents dits de bas poids moléculaire (BPM; par exemple, les isocyanates).

Les tests de provocation bronchique spécifique (TPS) sont la référence pour le diagnostic d’un asthme professionnel à un agent spécifique. Cependant, ce test doit être réalisé avec une technologie et selon une procédure spécifique et contrôlée, en particulier dans le cas de l’exposition aux agents de BPM. De plus, les TPS aux agents de HPM et de BPM doivent être effectués sous contrôle médical en milieu hospitalier pour une intervention immédiate dans le cas d’une réaction asthmatique sévère. Le TPS aux agents de BPM comme les isocyanates est rarement effectué dans certains pays (par exemple, les États-Unis). Étant donné que l’asthme professionnel est une condition peu réversible lorsqu’elle est diagnostiquée tardivement, il est donc important de découvrir des biomarqueurs précoces de la maladie. Un biomarqueur est défini comme un marqueur biologique présent chez une personne (par exemple, une protéine particulière présente dans un échantillon de sang) qui permet d’identifier l’apparition précoce, la persistance ou la rémission d’une maladie. Ainsi, si un biomarqueur démontre le développement d’une allergie à un agent du milieu de travail, il devient pertinent de compléter l’investigation par des tests de fonction respiratoire et des TPS.

Le test d’activation des basophiles (TAB) est un test diagnostique peu invasif (une prise de sang) qui permet de déterminer l’existence d’une sensibilisation de type IgE aux allergènes communs inhalés (par exemple, le pollen) ou de certains allergènes alimentaires (par exemple, les arachides). Le TAB spécifique positif est défini comme une augmentation statistiquement significative de l’activation des basophiles par rapport à leur niveau d’activation basale (TAB basal) (par exemple, la mesure du marqueur d’activation CD203c). Le TAB spécifique est mesuré en réponse à la stimulation d’un échantillon de sang par un allergène spécifique auquel cette personne est potentiellement sensibilisée. De ce fait, le TAB spécifique peut être négatif ou positif indiquant respectivement, l’absence ou la présence d’une sensibilisation spécifique de type IgE. L’utilisation du TAB comme outil potentiel pour déterminer une sensibilisation aux agents professionnels de HPM et de BPM n’avait jamais été étudiée auparavant.

L’un des résultats les plus importants de notre étude a été de montrer qu’un TAB positif et spécifique aux agents de HPM est associé à un TPS positif et à un diagnostic d’asthme professionnel à ces agents.

De ce fait, la détermination d’un TAB positif aux agents de HPM chez un travailleur pourrait être un facteur prédictif positif du TPS et du diagnostic subséquent d’asthme professionnel.  Cependant, en raison de la taille restreinte de l’échantillon, ces résultats doivent être considérés comme des données préliminaires qui demeurent à être confirmées avec des cohortes plus importantes de sujets.

Concernant les agents professionnels de BPM, nos résultats ont révélé que le TAB spécifique aux agents de BPM ne permet pas de discriminer entre les travailleurs ayant présenté un TPS négatif ou positif à ces agents. De ce fait, le TAB ne serait pas un facteur prédictif négatif ou positif du TPS et du diagnostic d’asthme professionnel aux agents de BPM. Cependant, une deuxième analyse des données a été réalisée en excluant le groupe de travailleurs exposés au formaldéhyde. Cette exclusion est justifiée par l’absence de démonstration, dans la littérature, d’une sensibilisation de type IgE lors du développement d’un asthme professionnel attribuable au formaldéhyde. Cette analyse, réalisée selon la présentation d’un TPS négatif ou positif aux isocyanates, a révélé qu’un TAB spécifique positif aux isocyanates est statistiquement significatif chez le groupe de travailleurs présentant un TPS positif à ces agents. Cependant, un TAB positif aux isocyanates a aussi été observé chez le groupe de travailleurs présentant un TPS négatif, mais ce résultat n’est pas statistiquement significatif. Ainsi, la détermination d’un TAB positif aux isocyanates chez un travailleur ne peut être, à lui seul, un facteur prédictif positif du TPS et du diagnostic subséquent d’asthme professionnel.

L’atopie est définie comme une prédisposition génétique à se sensibiliser plus facilement à différentes substances présentes dans l’environnement telles que les pollens. La sensibilisation à des agents professionnels est souvent suivie de l’apparition de symptômes allergiques pouvant être associés à la rhinite ou à l’asthme. Les données de cette étude ont révélé qu’un TAB spécifique positif aux agents de HPM est associé à la présence d’atopie et, dans le cas présent, au diagnostic d’asthme professionnel à ces agents. Cependant, comme précédemment, cette conclusion devra être confirmée dans le cadre d’études plus vastes incluant des bassins plus importants de sujets témoins négatifs.

Concernant les agents professionnels de BPM, nos résultats ont montré qu’un TAB spécifique positif aux agents de BPM investigués n’est pas associé à un TPS positif même lorsque le groupe de travailleurs est divisé selon qu’il y ait présence ou absence d’atopie. Pour la raison citée ci-dessus, nous avons décidé d’exclure le groupe de travailleurs exposés au formaldéhyde (IgE indépendante) du groupe BPM. Nous avons alors montré que le TAB spécifique positif est significativement différent du TAB basal chez les travailleurs atopiques, mais pas chez les travailleurs non atopiques. De ce fait, la détermination d’un TAB positif aux isocyanates chez un travailleur en association avec un statut d’atopie positif pourrait être un facteur prédictif positif du TPS et du diagnostic subséquent d’asthme professionnel.

En conclusion, le TAB spécifique, positif aux agents de HPM ou aux isocyanates, et associé au statut d’atopie (présence ou absence) pourrait permettre chez le travailleur une meilleure caractérisation du risque potentiel de développer un asthme professionnel, et ainsi contribuer à l’évaluation et à la gestion du risque lié à l’environnement de travail. Une telle politique de gestion des risques serait facile à mettre en place en milieu de travail puisque le TAB ne nécessite qu’une prise de sang chez le travailleur, et que l’échantillon peut être analysé le jour même par un laboratoire hospitalier ou clinique disposant d’une expertise en cytométrie en flux. Des travaux ultérieurs demeurent toutefois à être réalisés, notamment pour préciser la sensibilité et la spécificité du TAB ainsi que ses valeurs prédictives positive ou négative.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Karim Maghni
  • Jean-Luc Malo
  • Catherine Lemière
Projet de recherche : 0099-6230
Mis en ligne le : 08 décembre 2015
Format : Texte