IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Troubles psychiatriques chez les patients soumis à une évaluation relative à l’asthme professionnel : prévalence et impact sur la situation d’emploi et l’utilisation des services de santé

Résumé

Contexte : L’asthme professionnel (AP) est un important problème de santé au travail qui a un impact tant sur le secteur de l’emploi que sur les ressources en santé et l’individu lui-même. Entre 10 % et 30 % des asthmatiques qui le sont devenus à l’âge adulte mentionnent que leur asthme s’aggrave au travail et qu’il est souvent difficile à diagnostiquer et à traiter. La majorité (environ 70 %) des patients référés pour une évaluation relative à l’AP ne reçoivent pas un diagnostic d’AP, et jusqu’à 30 % d’entre eux ne reçoivent aucun diagnostic final de trouble médical (c. à d. biologique). Néanmoins, ces patients restent symptomatiques et incapables de travailler. Bien que plusieurs diagnostics différentiels soient considérés (p. ex. la rhinite, la bronchite à éosinophiles et l’hyperventilation), les troubles psychiatriques (dont beaucoup s’accompagnent d’affections somatiques pouvant ressembler à l’asthme, notamment le trouble panique et l’hypocondrie) ne font que rarement, sinon jamais l’objet d’une évaluation. Cela laisse entendre qu’un nombre important de patients ne reçoivent ni un diagnostic ni un traitement approprié pouvant les aider à retrouver un niveau de fonctionnement normal et à retourner au travail. Le fait de ne pas détecter la morbidité psychiatrique chez ces patients peut également avoir d’importantes répercussions sur l’utilisation des services de santé. Faute d’être diagnostiqués et traités, les patients atteints de troubles psychiatriques sont susceptibles de demeurer symptomatiques, ce qui augmente le risque qu’ils aient recours aux services de santé, notamment les services d’urgence et les consultations médicales, au prix de coûts élevés pour eux comme pour la société.

Objectifs : L’objectif principal de cette étude était d’évaluer les taux de troubles psychiatriques (y compris l’hypocondrie et les troubles d’humeur et d’anxiété) et le niveau de détresse psychologique chez les patients soumis à une évaluation relative à l’AP. L’objectif secondaire de cette étude consistait à déterminer l’impact de la morbidité psychiatrique sur la situation d’emploi, l’utilisation des services de santé et la qualité de vie au terme d’un suivi de 12 à 18 mois.

Méthodologie : Au total, 219 patients consécutifs (59 % de sexe masculin, âge moyen de 42 ans [± 11,1]) ont passé une entrevue sur leur situation sociodémographique et leurs antécédents médicaux le jour de leur évaluation relative à l’AP, qui comprenait un test spirométrique et un test de provocation spécifique par inhalation. Le questionnaire d’évaluation des troubles mentaux dans les soins primaires (PRIME-MD) a servi à évaluer les troubles d’humeur et d’anxiété, et l’Indice d’hypocondrie de Whiteley (IHW) a servi à évaluer les niveaux d’hypocondrie clinique. Les patients ont également rempli une batterie de questionnaires autoadministrés visant à établir leur niveau de détresse psychologique, y compris l’Inventaire de dépression de Beck-II (IDB-II), l’Inventaire d’anxiété de Beck (IAB) et l’Indice de sensibilité à l’anxiété (ASI). On a ensuite repris contact avec les patients 12 à 18 mois plus tard pour évaluer leur situation d’emploi, leur utilisation des services de santé et leur qualité de vie.

Résultats : Des données ont pu être obtenues pour 196 patients, dont 152 (78 %) répondaient aux critères d’au moins un trouble diagnosticable. Les diagnostics finaux ont révélé ce qui suit : 26 % (n = 50) des patients souffraient d’AP, 25 % (n = 48) souffraient d’asthme exacerbé ou non au travail, 14 % (n = 28) souffraient d’un autre trouble inflammatoire, 13 % (n = 26) souffraient d’un trouble non inflammatoire, et 22 % (n = 44) n’avaient aucun trouble diagnosticable. Au total, 34 % (n = 67) des patients de l’échantillon répondaient aux critères d’un trouble psychiatrique actuel ; des troubles d’humeur et d’anxiété touchaient respectivement 29 % (n = 56) et 24 % (n = 47) des patients, et les scores de 6 % (n = 12) des patients à l’IHW étaient indicatifs d’hypocondrie. Les niveaux de dépression, d’anxiété et de sensibilité à l’anxiété se situaient dans la fourchette normale et ne différaient pas d’un groupe de diagnostic à l’autre. Fait intéressant, alors que les taux globaux de troubles psychiatriques étaient seulement légèrement plus élevés chez les patients non diagnostiqués (45 %) que chez les patients diagnostiqués (31 %) (F = 3,12 ; p = 0,079), les taux d’hypocondrie étaient nettement plus élevés chez les patients non diagnostiqués (14 %) que chez les patients diagnostiqués (4 %) (F = 5,71 ; p = 0,018). En outre, le fait de satisfaire aux critères de l’hypocondrie augmentait considérablement, soit par un facteur de près de 4, la probabilité de ne pas recevoir un diagnostic final (RRA ajusté = 3,92 ; IC de 95 % = [1,18 ; 13,05] ; p = 0,026). Selon les données de suivi après 12 à 18 mois, ajustées en fonction des covariables (inclusion faite des groupes de diagnostic), les patients atteints d’un trouble psychiatrique au départ affichaient des résultats nettement moins bons que ceux dont ce n’était pas le cas ; ils étaient notamment beaucoup moins susceptibles d’avoir un emploi (de travailler) (44 % vs 64 % ; F = 7,02 ; p = 0,009) et ils présentaient un taux plus élevé de visites à l’urgence au cours de la période de suivi (35 % vs 19 % ; F = 4,19 ; p = 0,042). Toujours après ajustement des données en fonction des covariables, il n’y avait aucun lien potentiel entre l’état de santé mental des participants et leur score au Questionnaire sur la qualité de vie des asthmatiques au moment du suivi.

Conclusions et répercussions cliniques : Les taux de troubles d’humeur ou d’anxiété étaient anormalement élevés (2 à 4 fois plus élevés que les taux observés dans la population générale) chez les patients qui se présentaient pour une évaluation relative à l’AP. Bien que les taux globaux de troubles psychiatriques et les niveaux de détresse psychologique aient été comparables chez les patients appelés ou non à recevoir un diagnostic d’AP ou d’un autre trouble diagnosticable, l’hypocondrie était plus fréquente chez les patients qui ne recevaient pas un diagnostic de trouble effectif, ce qui suppose qu’elle peut expliquer un nombre important de cas « non diagnosticables » d’AP présumé. Les données de suivi indiquaient que, quel que soit le groupe de diagnostic, les patients atteints d’un trouble psychiatrique au départ affichaient de moins bons résultats après 12 à 18 mois, notamment en ce qu’ils étaient moins susceptibles d’avoir un emploi et en ce qu’ils faisaient un usage plus marqué de certains services de santé (visites à l’urgence). Les résultats de cette étude suggèrent globalement que l’évaluation (et le traitement) des troubles psychiatriques dans cette population exigent davantage d’efforts.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Kim L. Lavoie
  • Maryann Joseph
  • Hélène Favreau
  • Manon Labrecque
  • André Cartier
  • Catherine Lemière
  • Jean-Luc Malo
  • Denyse Gautrin
  • Blaine Ditto
  • Simon L. Bacon
Projet de recherche : 0099-4920
Mis en ligne le : 17 octobre 2014
Format : Texte