IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Cloueuses portatives − Développement de méthodes de diagnostic vibratoire et acoustique

Résumé

Le fonctionnement des cloueuses portatives étant basé sur un processus d’impact visant à enfoncer un clou, l’utilisation de ces outils expose les travailleurs à des bruits et à des vibrations à caractère impulsionnel, en générant des niveaux très élevés pendant un très court laps de temps. Par ailleurs, l’exposition aux bruits et aux vibrations impulsionnels engendre un risque de développer des maladies professionnelles. Des échanges avec l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur de la construction (ASP Construction) ont confirmé que ce type d’outil est très utilisé par les travailleurs de la construction qui, au Québec, se classent parmi les 5 premiers groupes de travailleurs en ce qui concerne le nombre d’indemnisations pour surdité professionnelle. Il est donc nécessaire de choisir et de concevoir des cloueuses moins bruyantes et pour lesquelles le niveau de vibration à la poignée est réduit. Il s’agit d’une tâche difficile à réaliser, car très peu d’information existe sur les niveaux de bruit et de vibrations de ces outils, ainsi que sur les moyens de les réduire.

Ce projet vise trois objectifs : (i) vérifier si les normes actuelles pour le bruit (EN 12549) et les vibrations (ISO 8662) permettent de mesurer en laboratoire des valeurs d’émission acoustique et vibratoire comparables aux valeurs mesurées sur le terrain; (ii) développer et utiliser des méthodes de diagnostic des sources de bruit et vibrations en laboratoire; (iii) formuler des pistes de solution visant à réduire les niveaux de bruit et de vibrations des cloueuses.

(i) Comparaison des mesures sur le terrain et en laboratoire. Pour ce premier objectif, dix cloueuses commerciales ont été retenues : huit cloueuses à charpente, dont une électrique (batteries), une à gaz (butane) et six pneumatiques, et deux cloueuses de toiture pneumatiques (bardeaux d’asphalte). Les vibrations ont été mesurées en laboratoire et sur le terrain à l’aide d’un accéléromètre triaxial fixé à la poignée de l’outil. En ce qui concerne le bruit, la puissance acoustique a été mesurée en laboratoire sur le banc de mesures normalisées (BMN) composé de neuf microphones (grille en cube) alors que pour les mesures terrains, le niveau d’exposition aux oreilles du travailleur a été mesuré avec deux microphones placés sur ses coquilles antibruit. Les mesures terrains ont été réalisées à l’aide d’un système d’acquisition portatif inséré dans un petit sac à dos, ce qui permettait à l’opérateur de ne pas modifier sa façon de travailler. La comparaison des niveaux de bruit mesurés sur le terrain et dans le laboratoire montre que le rayonnement acoustique de la pièce travaillée lors des mesures terrains peut contribuer au niveau global (maximum de 3,5 dBA de plus que les mesures laboratoire), mais que ce rayonnement ne modifie pas ou peu le classement des cloueuses selon leurs émissions sonores. En ce qui concerne les vibrations, le classement des cloueuses selon leurs émissions vibratoires était similaire entre le terrain et le laboratoire. Cela justifie l’utilisation du banc d’essai normalisé en laboratoire pour réaliser le classement des cloueuses.

(ii) Méthodes de diagnostic et sources. Selon les normes actuelles, les mesures pour qualifier une cloueuse nécessitent le recours à 3 opérateurs qui enfoncent plus de 50 clous chacun. Cette procédure exige énormément de temps et complique le travail de diagnostic des sources de bruit. Pour simplifier cette procédure, un dispositif de substitution de l’opérateur (DSO), constitué d’un support, d’un système remplaçant la main et le bras de l’opérateur ainsi que d’un déclencheur à distance, a été développé. Une validation du DSO a été réalisée et les résultats montrent que, pour une série de tests effectuée avec seulement dix clous, la variabilité des résultats est similaire à celle obtenue avec les tests normalisés (BMN) nécessitant trois opérateurs et un total de 150 clous. Par rapport au BMN, l’accélération moyenne obtenue avec le DSO est légèrement surestimée (0,5 m/s2) et les niveaux de puissance acoustique sont légèrement sous-estimés (environ 1 dB). Cependant, bien que ces différences ne soient pas souhaitables, elles ne viennent pas modifier le classement des cloueuses selon leurs niveaux de bruit et de vibrations. Par ailleurs, ce système permet de qualifier une cloueuse en moins de 30 minutes.

Les méthodes de diagnostic utilisées pour déterminer les sources de bruit sont le masquage des sources (encoffrements), l’imagerie acoustique et la synchronisation bruit/image avec une caméra haute vitesse. L’usage d’un banc d’essai modifié a aussi permis d’évaluer la contribution  du rayonnement acoustique de la pièce travaillée au bruit total généré par la cloueuse. Les trois principales sources de bruit sont le corps de la cloueuse, le système d’échappement et la pièce travaillée. Pour les cloueuses pneumatiques, le bruit généré par le corps de la cloueuse est le plus important; il atteint des niveaux équivalents à ceux du système d’échappement, tandis que la cloueuse électrique et la cloueuse au gaz n’émettent pas de bruit d’échappement. Les vibrations se transmettant à l’opérateur par la poignée, seul le corps de la cloueuse est contributif aux émissions vibratoires. La cloueuse électrique génère des niveaux de vibrations équivalents à ceux des cloueuses pneumatiques, alors que les niveaux de bruit sont environ 10 dBA inférieurs. La contribution de la pièce travaillée est significative et d’un ordre de grandeur équivalent au bruit de l’échappement ou du corps de la cloueuse. Les vibrations de la cloueuse sont pratiquement constantes et ne subissent aucune influence de la pièce travaillée.

(iii) Pistes de solution. Des pistes de solution pour les trois sources de bruit principales sont présentées. Pour les cloueuses pneumatiques, l’ajout d’un silencieux est fortement suggéré. Aussi, pour le rayonnement du corps, il est suggéré d’ajouter une barrière acoustique. Finalement, des solutions qui concernent le fonctionnement de la cloueuse sont aussi proposées. Pour les vibrations, la principale solution consiste à découpler la poignée de la cloueuse. Étant donné que les vibrations d’amplitude maximale sont générées lors de l’arrivée en butée de la pièce mobile (bélier) qui enfonce le clou, l’optimisation des butées de fin de courses (basse et haute) du bélier semble pertinente. Par ailleurs, la quantité d’énergie utilisée pour l’enfoncement d’un clou est constante, peu importe le clou utilisé et le milieu cloué, ce qui oblige dans certains cas de dissiper une quantité d’énergie superflue. Cette énergie est probablement contributive au bruit et aux vibrations et pourrait être réduite si la quantité d’énergie utilisée pour l’enfoncement d’un clou était réglable.

Cette étude a permis de déterminer et de quantifier plusieurs mécanismes générant le bruit et les vibrations des cloueuses portatives utilisées dans l’industrie de la construction. Elle a aussi permis le développement d’un dispositif de substitution de l’opérateur pour les essais en laboratoire. Ce dispositif nécessite encore du développement et de l’optimisation afin de mieux approximer les valeurs obtenues par des opérateurs, mais sa faible variabilité permet de qualifier une cloueuse en utilisant seulement 10 clous. Un DSO optimisé permettrait de remplacer les 3 opérateurs requis par les normes actuelles et ainsi grandement simplifier l’évaluation d’une cloueuse, tout en facilitant l’utilisation, par les fabricants, de bancs d’essai pour évaluer les émissions sonores et vibratoires de leurs cloueuses.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Marc-André Gaudreau
  • Pierre Marcotte
  • Frédéric Laville
  • Thomas Padois
  • Jérôme Boutin
Projet de recherche : 0099-6580
Mis en ligne le : 16 novembre 2018
Format : Texte