IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Bilan des connaissances sur les facteurs de risque de l’arthrose du genou et sur les outils d’évaluation et les interventions en matière de soins et services

Résumé

L’arthrose est une maladie chronique caractérisée par une dégénérescence progressive du cartilage et de l’os sous-chondral, entraînant de la douleur, des limitations fonctionnelles et des incapacités à long terme. Les articulations portantes sont particulièrement vulnérables au développement de la maladie, mais l’arthrose du genou (AG) est plus susceptible de causer des incapacités fonctionnelles. Bien que la maladie soit principalement présente chez les personnes âgées de plus de 65 ans, l'Agence de santé publique du Canada estime que la prévalence de l’AG chez les personnes âgées de 55 à 64 ans sera de 66 % en 2026. Cet accroissement anticipé de la prévalence est fort préoccupant sachant que l’arthrose compte parmi les maladies chroniques les plus importantes en matière d’utilisation des services de santé. Les impacts négatifs de l’AG sur les plans sociaux et économiques sont multiples. Ces données soulignent l’importance de proposer une prise en charge plus efficiente de l’AG tout au long du continuum de soins et services (prévention-traitement-réadaptation).

Dans le courant actuel de la pratique basée sur les données probantes, les cliniciens et gestionnaires sont de plus en plus appelés à consulter les écrits scientifiques afin de proposer les meilleures interventions à leur clientèle. Or, cette maladie a donné lieu à un nombre considérable de publications découlant de domaines d’études variées. Cette abondance d’information fait en sorte qu’il devient difficile, pour les personnes impliquées dans les soins et services offerts aux personnes atteintes de s’y retrouver et d’en faire une utilisation efficace.

L’objectif général de ce projet était d’élaborer une synthèse des connaissances sur les facteurs de risque de l’AG, sur les outils d’évaluation et sur les interventions utilisés dans les soins et services dispensés aux personnes atteintes de cette maladie. Le premier objectif spécifique était d’effectuer une synthèse des preuves scientifiques portant sur l’ensemble des facteurs de risque associés au développement et à la progression de l’AG. Le deuxième objectif spécifique était de recenser les outils d’évaluation utilisés lors de la réadaptation des personnes souffrant d’AG et de les documenter en regard de leur pertinence et de leurs qualités métrologiques. Enfin, le troisième objectif spécifique était d’effectuer une synthèse des preuves scientifiques portant sur les interventions proposées aux personnes souffrant d’AG.

L’approche adoptée a été celle de la revue systématique ou critique de la littérature scientifique. Des stratégies de recherche pour chacun des objectifs spécifiques ont été adoptées dans le but de répertorier la littérature pertinente dans diverses bases de données électroniques (MEDLINE, SCOPUS, AMED, etc.) et des recherches manuelles ont également été menées. Enfin, une synthèse des meilleures preuves a été faite à partir des études de bonne qualité (objectifs spécifiques 1 et 3) et de l’ensemble des études jugées d’intérêt (objectif 2) et est présentée dans le présent rapport. Les résultats détaillés présentés sous forme de tableaux récapitulatifs se retrouvent dans un document distinct (disponible sur le site du REPAR/FRQS hyperlien).

En ce qui concerne l’objectif spécifique 1, il a été établi que l’avancement en âge, le fait d’être une femme, l’obésité et des valeurs élevées de l’indice de masse corporelle (IMC), le travail à genou ou accroupi et la manutention de charges importantes, les activités physiques d’intensité élevée pratiquées sur une longue période et une haute densité minérale osseuse sont les facteurs de risque les plus importants de l’AG. Pour ces facteurs, les preuves ont été de modérées à solides. Beaucoup d’hétérogénéité interétudes a été relevée en ce qui a trait à la caractérisation de l’exposition.

Pour ce qui est de l’objectif 2, la validité de critère d’une mesure clinique de l’alignement du genou à l’aide d’un inclinomètre est démontrée. Les sous-échelles de douleur de la majorité des questionnaires algofonctionnels possèdent une bonne validité et une bonne fidélité. Certains outils, comme le Intermittent and Constant Osteoarthritis Pain (ICOAP), s’avèrent toutefois intéressants pour apprécier des aspects plus spécifiques, comme la douleur intermittente et la douleur constante.  Concernant les fonctions articulaires et musculaires, le concept de patron capsulaire de Cyriax n’est pas validé alors que les méthodes d’évaluation de la force musculaire isométrique et isocinétique de personnes atteintes d’AG sont fiables. Les résultats de notre étude confirment la robustesse des qualités psychométriques (qui sont de l’ordre de bonne à excellente) de plusieurs outils servant à évaluer les composantes Activité et/ou Participation, notamment le Western Ontario and McMaster Universities Osteoarthritis Index (WOMAC), l’Oxford Knee Score (OKS), le Patient Function Numerical Rating Scale (NRS) et le Lequesne Algofunctional Index (LAI). Enfin, le Work Limitations Questionnaire (WLQ) montre de bons résultats de consistance interne de même que de validité de contenu et de construit lors de la mesure des effets de l’AG sur les performances au travail. Cependant, le WLQ a une réponse au changement plus faible que la Work Instability Scale for Rheumatoid Arthritis (RA-WIS).

En ce qui concerne l’objectif spécifique 3, l’exercice physique a montré un niveau d’efficacité pouvant aller jusqu’à modéré; celui-ci doit être pratiqué régulièrement afin de préserver les effets positifs en regard de la douleur et de la fonction. Les injections d’acide hyaluronique sont efficaces pour soulager la douleur : leur action n’est ni immédiate, ni durable. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ont des effets analgésiques intéressants, mais sont accompagnés d’effets secondaires notables. En ce qui concerne les suppléments, la thérapie électrique, l’acupuncture, la chaleur, le froid, les orthèses et la thérapie au laser, les preuves quant à leur efficacité respective sont souvent contradictoires ou reposent sur des études de faible qualité et peu homogènes.

En guise de conclusion, pour l’objectif 1, les constats que nous avons tirés rejoignent dans l’ensemble ceux des auteurs de revues systématiques et de méta-analyses publiées antérieurement. Toutefois, la force des preuves scientifiques aurait probablement été plus importante pour certains facteurs de risque si les façons de caractériser l’exposition avaient été plus homogènes. Dans la même veine, le rôle de quelques facteurs de risque aurait pu être clarifié si plus d’études observationnelles de bonne qualité avaient été trouvées à leur sujet. Si dans l’ensemble nous avons pu faire un portrait assez exhaustif des facteurs associés au développement de la maladie, on ne peut en dire autant des facteurs liés à sa progression. Pour ce faire, davantage d’études de cohorte auraient été requises.

Pour l’objectif 2, nous reconnaissons qu’il y a grand intérêt dans la validation transculturelle de questionnaires algofonctionnels et pour les études de validation d’outils de mesures procurant un score global à partir de la somme des scores de plusieurs dimensions ou catégories de la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF). Bien que ces outils soient pour la plupart valides et fidèles, plusieurs sont génériques. Nous sommes portés à conclure qu’il existe un besoin de développer ou valider des outils qui seront plus efficaces pour mesurer chacune des catégories de la CIF. Ceci s’applique particulièrement aux composantes Activités et Participation.

Pour l’objectif 3, un constat peut être dégagé : à l’heure actuelle, il n’existe pas de traitement ou de thérapie miracle pour les personnes aux prises avec l’AG. L’exercice est très certainement à recommander; celui-ci devra être pratiqué régulièrement afin de préserver les effets positifs y étant associés. Les injections d’acide hyaluronique sont efficaces, mais leur action n’est ni immédiate, ni durable. Les AINS ont des effets analgésiques importants, mais il s’agit d’une solution viable à court terme qui est de surcroît accompagnée d’effets secondaires notables. De ce fait, différentes modalités de traitement doivent être envisagées dans une prise en charge efficace de l’AG. Cela rejoint des points soulevés dans plusieurs guides de pratique reposant sur des revues de la littérature.