IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Bilan des connaissances sur les guides de pratique en santé - Enseignements clés et transférabilité pour la santé et la sécurité au travail

Résumé

Les guides sont considérés comme un outil important au niveau du transfert des connaissances. Ils permettent une organisation et une mise en forme opérationnelle des connaissances pour que les milieux puissent se les approprier. Les guides sont un outil de relais, par ailleurs ciblés par l'axe en transfert de connaissances du Réseau de recherche en santé et sécurité au travail du Québec en tant qu'enjeu important voire central en SST. À cet égard, le sujet d'intérêt particulier est l'utilisation et l'appropriation des guides. D'après l'enquête de Laroche (2009), menée auprès de chercheurs canadiens en santé et sécurité au travail (SST), le tiers avait été impliqué au cours des cinq dernières années dans l'élaboration d'un guide.

C'est dans ce contexte qu'a surgi au sein de cette équipe une première question simple : Sait-on ce qu'est un bon guide et comment l'évaluer? Existe-t-il une grille ou des critères d'évaluation qui nous permettraient de poser un premier diagnostic sur un guide ? Les questions corollaires étaient : Que sait-on sur leur utilisation et leur appropriation ? Ont-ils les impacts escomptés ?

Les guides en SST ayant été l'objet de peu de recherches, notre bilan de connaissances s'est rapidement orienté vers d'autres domaines, où rapidement, l'importance des travaux menés en santé s'est imposée. En effet, tant la production de guides de pratique clinique que le nombre de recherches menées sur le sujet ont crû de façon spectaculaire au cours des deux dernières décennies. Nous nous y sommes donc arrêtés, avec pour objectif d'en saisir autant la logique que la cohérence, afin de mieux en comprendre les développements et les questionnements.

Cependant, faire une revue exhaustive des écrits, vu leur ampleur, était irréaliste. Nous avons plutôt opté pour une démarche visant à dégager des points de repère qui pourraient être utiles aux acteurs en SST quant au développement des guides, à leur évaluation et à leur implantation. Deux grands axes de recherche et de développement s'y côtoient et s'entremêlent. Le premier axe est centré sur l'objet lui-même, le guide : comment les développer, les évaluer, les implanter? Le second axe est centré sur son utilisateur : Quel usage en fait-il ? Qu'en pense-t-il? Que recherche-t-il ?

Suite à cette revue des écrits, un premier constat a été l'importance de l'implication des organisations publiques, voire des États, dans le développement des guides, ces derniers voyant les guides de pratique comme une pierre angulaire des politiques de santé. Les guides pourraient en améliorer la performance en favorisant l'implantation de ce qu'on appelle evidence-based medicine, une médecine fondée sur des preuves obtenues de façon rigoureuse. Dans les années qui ont suivi le début de l'élaboration de guides de pratique en santé, des groupes de travail nationaux ont été mis en place - essentiellement dans les pays anglophones - pour statuer et élaborer des règles de développement dont le coeur est le tri et l'évaluation des preuves. En fait, fondamentalement, les guides de pratique sont des regroupements d'énoncés, de directives. En anglais, on parle de clinical pratical guidelines. Cela est compréhensible en santé, mais sans doute moins approprié en SST, où les guides de pratique (et pratiques) ont un sens plus large. Certains organismes internationaux, comme le Bureau International du Travail, commencent cependant à adopter cette perspective de guidelines.

Globalement, le développement des guides de pratique est abordé de façon très méthodologique dans le domaine de la santé, le déroulement de chaque étape étant soigneusement défini.

Cependant, nous n'avons pas trouvé – c'est une critique qui leur est adressée aussi – d'études montrant que les guides de pratique ainsi conçus sont de meilleure qualité. Les études de suivi menées auprès des développeurs de guides de pratique montrent aussi que les règles préconisées ne sont que bien partiellement adoptées, les procédures étant considérées trop lourdes et trop coûteuses à mettre en place. Les guides sont aussi avant tout développés par des professionnels qui en font une spécialité. Cette approche professionnalisante ne nous apparaît pas convenir à la SST.

Quant aux outils d'évaluation des guides développés en santé, ils suivent en fait la même logique ; ils évaluent essentiellement le processus de développement du guide, ou du moins, sa description. L'application de ces outils montre que les guides développés n'y satisfont que bien partiellement. Le reproche précédent signalé demeure : les outils évaluent le processus de développement, ce qui en est décrit en fait, et non la qualité elle-même. Nous n'avons donc pas trouvé de réponse satisfaisante à notre première question : si on ouvre un guide, y a-t-il un instrument qui permette d'évaluer son contenu, sa structure, son organisation, etc ? Ceci dit, les questions posées par ces recherches et les résultats obtenus sont riches d'enseignements pour la SST ; ils nous ont aidés à situer nos propres enjeux et perspectives, qui sont progressivement exposés dans ce rapport.

De façon générale, nos travaux ont révélé que trois grandes critiques sont adressées aux guides (directives) : ils ne prennent pas suffisamment en compte l'ensemble des éléments (ne sont pas suffisamment systémiques) ; ils ne collent pas suffisamment au processus de décision du praticien (ils sont construits sur une logique de résolution de problèmes); ils ne cadrent pas suffisamment avec le fait que chaque patient est une entité spécifique (et non un ensemble ou un patient moyen). Ces critiques remettent en partie en question le processus d'élaboration des connaissances. Les questions soulevées et leurs débats sont tout à fait pertinents au domaine de la SST.

D'autre part, les études menées auprès des utilisateurs montrent que ces derniers souscrivent aux efforts de rationalisation, mais les suivis d'utilisation montrent que les recommandations ne sont pas appliquées au niveau attendu. La raison première n'est pas que les gens n'y adhèrent pas, ni qu'ils les méconnaissent. Ce serait plutôt que les conditions d'application, les contextes et les efforts à investir y font obstacle. Les utilisateurs redoutent aussi toute approche coercitive qui pourrait se substituer à leur jugement. Au vu des efforts investis, ces résultats sont considérés comme décevants. Les études d'impact confirment par ailleurs que les effets attendus n'ont pas été au rendez-vous.

Ceci a amené les chercheurs à se pencher plus sur la question de l'implantation et à chercher à mieux comprendre ce qui fait obstacle ou au contraire favorise l'utilisation des guides de pratique, reconnaissant que trop peu d'efforts avaient été consacrés à cette question. Nous en retenons trois résultats clés: la possibilité de voir (ex. quelqu'un utiliser le guide, ce que cela donne, les bénéfices), de disposer de conditions adéquates (ex. ressources humaines et matérielles, organisation, support) et l'effort à consentir.

Enfin, au niveau de l'implantation, l'ensemble des études menées montre que les moyens passifs comme la diffusion de matériel sont peu efficaces et qu'il faut élaborer un plan d'implantation combinant des moyens. Cependant, aucune des synthèses effectuées sur la question ne met en évidence de moyens ou combinaisons foncièrement efficaces. Les impacts demeurent au mieux modestes. Nous en concluons qu'aucune stratégie d'implantation n'aura de succès si le contenu des guides ne correspond pas suffisamment à leurs conditions d'application.

Il nous apparaît ainsi central d'intégrer les questions d'implantation au processus de développement lui-même, non pas comme une étape finale, mais tout au long du processus. Et bien que l'ensemble des résultats mentionnés montre que statuer sur une méthode d'élaboration ne soit pas un gage de succès, le processus de développement demeure quant à nous une clé importante. Dans ce processus, le coeur devrait cependant en être moins celui de l'identification des preuves à traduire en directives que celui de l'identification des personnes porteuses d'un savoir pertinent aux questions d'implantation. Le rôle déterminant des contextes qui ressort des études nous convainc qu'il doit demeurer au coeur des développements.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
Projet de recherche : 0099-8880
Mis en ligne le : 25 mai 2012
Format : Texte