IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Les risques de troubles musculo-squelettiques aux membres supérieurs dans le secteur des services à l’automobile – Étude exploratoire

Résumé

Les troubles musculosquelettiques aux membres supérieurs (TMS-MS) comptaient en moyenne au Québec, entre 1998 et 2002, pour 8,7 % de l’ensemble des lésions compensées du secteur des Services à l’automobile, mais représentaient 14,9 % des jours d’arrêt de travail et 13,8 % des déboursés totaux de compensation. Une analyse de l’activité de travail réalisée sur quatre postes au Québec et dans cinq garages aux États-Unis, ainsi qu’une étude sur les postures dans 42 garages en Europe, faisait état de la présence de plusieurs des facteurs de risque associés à ce type de lésion, dont la répétition des gestes, le travail aux limites extrêmes des articulations, la manipulation d’éléments mécaniques lourds et l’utilisation d’outils énergisés. Il n’existait pas, par contre, de données sur la relation entre l’activité de travail et la genèse de ce type de lésion. L’objectif de cette activité exploratoire était donc de documenter cette problématique en regard de l’activité de travail et des outils utilisés par les travailleurs de ce secteur afin d’établir un bilan des connaissances et de suggérer des pistes de solution et des avenues de recherche.

Dix tâches considérées à risque pour les TMS-MS dans les garages furent ciblées conjointement par un comité de suivi paritaire, les conseillers d’Auto Prévention et l’équipe de recherche. Ces tâches sont, en mécanique : le travail sous le capot, le travail sous le véhicule, le travail sur le moteur de camion et le travail sur la suspension de camion. Pour les spécialités, le service de pneus, le changement de silencieux et le travail sous le tableau de bord (installation de systèmes ajoutés) furent retenus. Enfin, le ponçage, la peinture avec atomiseur (pistolet à peinture) et le lavage et le polissage de véhicules furent choisis en esthétique automobile.

Quinze établissements dans un rayon de 150 km autour de Montréal furent approchés pour participer à l’étude, et douze acceptèrent. Sur le terrain, cinq situations différentes pour chacune des tâches retenues furent observées, à l’exception d’une tâche où une seule observation fût possible. L’équipe de terrain demandait aux mécaniciens, peintres, techniciens en esthétique ou installateurs de faire leur travail comme ils le font habituellement. La gestuelle des membres supérieurs était filmée sur vidéo et on pesait les pièces mécaniques manipulées. La masse et le moment de force au niveau du poignet des outils utilisés étaient également récoltés. À la fin de la séance d’observation, une évaluation de la santé musculosquelettique et un test de contraction maximum de la main et des muscles fléchisseurs de l’épaule étaient faits. Les séquences vidéo furent analysées en laboratoire en fonction d’une série d’observables préalablement définis, décrivant la position relative des membres supérieurs dans l’espace, la présence d’outils ou des pièces dans les mains, de pair avec l’activité générale de travail. Quarante-neuf heures de vidéos furent ainsi analysées.

Les 35 travailleurs qui ont accepté de participer à l’étude étaient tous mâles, âgés de 35,5+10 ans, et avaient entre une et 30 années d’expérience. Les observations et mesures réalisées au cours de cette étude exploratoire confirment la présence de facteurs de risques pour les TMS-MS pour les tâches observées. Les facteurs de risques identifiés dans les garages au Québec sont sensiblement les mêmes que ceux répertoriés par les rares autres études réalisées dans ce secteur.

Chacune des tâches étudiées affiche son propre profil de risques d’apparition des TMS-MS. Dans cette étude exploratoire, les épaules sont l’articulation la plus à risque en particulier à cause de longues périodes de maintien des bras plus hauts que les épaules. Les poignets sont également très sollicités au cours de certaines tâches et ont rarement été observés en position neutre. La pénibilité de telles contraintes se manifeste dans la perception de l’effort au cours de l’exécution du travail, mais il faut souligner que, pour six des dix tâches étudiées, la perception de l’attention requise pour réaliser la tâche était supérieure à la perception de l’effort. Le fait que, dans notre échantillon, la force musculaire maximum mesurée allait du simple au double pour l’épaule, et du simple au triple pour la main, peut avoir influencé la perception de l’effort.

Les modèles d’apparition des TMS peuvent s’appliquer au travail dans les garages. En effet, plusieurs événements furent observés où l’utilisation subite d’une force ou d’un mouvement de grande amplitude aurait pu excéder la valeur limite de résistance des tissus musculosquelettiques, et ainsi entraîner une défaillance traumatique et aigüe de ces tissus. On pourrait également assister à une diminution progressive de la limite de tolérance des tissus, due par exemple à la répétition d’un geste, jusqu’à un point où la limite de tolérance devienne inférieure aux forces en jeu. Cette situation entraînerait une défaillance due à la fatigue ou à des traumatismes répétés si cette situation se produisait à répétition.

Le rôle des outils énergisés comme facteur potentiel pour les TMS-MS est mitigé. D’une part, la masse moyenne des outils pneumatiques (clés à chocs, clés à rochet, principalement) est d’environ 1,5 kg alors que celle des outils électriques, comme les cireuses et polisseuses, est de 3,75 kg. Cependant, ces derniers outils, plus lourds, sont principalement utilisés en esthétique où ils sont un avantage lorsque le travail se fait sur une surface horizontale, mais un inconvénient, à cause de leur masse, pour travailler sur une surface verticale. Les outils pneumatiques les plus lourds sont principalement retrouvés dans le travail sur les véhicules lourds. En ce qui concerne les atomiseurs, généralement légers et bien balancés, le moment de force résultant de leur tenue en main est faible au niveau de l’épaule mais élevé au niveau du poignet. Finalement, ce sont les pièces manipulées par les mécaniciens qui se sont révélées les plus lourdes. Les pièces mécaniques d’une masse supérieure à 10 kg ne sont pas rares et la masse des pneus montés sur jante varie de 13 kg à 22 kg. La manutention de ces pièces pose aussi le problème des lésions au dos. Ainsi, ce n’est pas tant une posture ou un outil en particulier qui peut être un risque d’apparition de TMS-MS, mais l’obligation de garder, pour de longues périodes de temps, certaines postures, en particulier au niveau de l’épaule. Cette situation devient à risque même si un outil ou une pièce de masse minimale est maintenu. Le temps de maintien d’un outil dépend du travail à faire, mais aussi des performances de l’outil. Cette relation entre la tâche, l’outil et la posture constitue donc une intéressante piste pour des recherches futures.

Il a été très intéressant de constater que plusieurs mécaniciens, peintres et techniciens en esthétique utilisaient déjà une méthode de travail qui tend à réduire les moments de force au niveau des membres supérieurs. Dans ce secteur d’activité où l’on retrouve une très grande variabilité dans le travail à effectuer, ces résultats appellent des actions de prévention ciblées.

Ce document se veut une synthèse de la situation générale des TMS-MS dans ce secteur et un portrait succinct des tâches à risques identifiées. Un regard plus approfondi sur chacune de ces tâches, de même que des pistes de solutions, sont présentés dans la section portant les caractéristiques des tâches.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Denis Marchand
  • Denis Giguère
Projet de recherche : 0099-5480
Mis en ligne le : 31 mars 2010
Format : Texte