IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Exposition des travailleurs de la construction à la silice cristalline – Exploitation d’une banque de données tirée de la littérature

Résumé

L’exposition prolongée par inhalation à des poussières de taille respirable contenant de la silice cristalline est reconnue pour causer des maladies respiratoires, dont le cancer du poumon et la silicose. De nombreuses études ont relevé la surexposition des travailleurs de la construction à la silice cristalline, puisque ce composé est présent dans de nombreux matériaux utilisés sur les chantiers. L’évaluation de l’exposition à la silice cristalline dans cette industrie constitue un défi en raison de la multitude de conditions de travail et de la nature temporaire des chantiers.

Dans le but d’améliorer les connaissances sur les conditions de travail pouvant exposer les travailleurs de la construction à la silice et de répondre à une demande initiale de la CSST, une équipe conjointe de l’Université de Montréal et de l’IRSST a monté une banque de données d’exposition professionnelle à ce contaminant à partir de la littérature. Ce premier projet a été financé par l’IRSST et a fait l’objet d’un rapport publié en 2011 par cet organisme. La banque de données contient plus de 10 000 mesures d’exposition provenant de périodiques scientifiques, de banques de données externes et de rapports d’organismes de recherche collectés à la suite d’une revue exhaustive de la littérature portant sur les 25 dernières années. Des analyses descriptives réalisées à partir des mesures quantitatives de la banque ont permis d’identifier les métiers et les tâches associées aux plus fortes expositions. Les chercheurs ont néanmoins souligné le potentiel important d’information additionnelle associé à l’emploi de techniques d’analyse multivariée, permettant d’évaluer l’influence simultanée de plusieurs variables sur les niveaux d’exposition. Le présent projet avait pour objectif principal d’approfondir l’exploitation de la banque de données afin de raffiner le portrait des expositions à la silice cristalline et d’estimer la contribution des différents déterminants de l’exposition.

Les données d’exposition à la silice cristalline ont d’abord été sélectionnées en fonction de la stratégie d’échantillonnage, résultant en deux analyses complémentaires ayant pour objectif d’estimer les niveaux d’exposition relativement aux valeurs limites d’exposition (VLE) sur huit heures en fonction du titre d’emploi, et de la tâche selon leur durée d’exécution. La méthode de Monte Carlo a été utilisée pour recréer les échantillons provenant de données rapportées sous forme de paramètres de synthèse (p. ex. moyenne et écart-type géométriques, moyenne arithmétique, fourchette), permettant leur analyse combinée avec les résultats rapportés sous forme de mesures uniques. Des modèles statistiques comprenant les variables tels le titre d’emploi, la tâche exécutée, la durée de mesure, l’année et la stratégie d’échantillonnage, le type de projet (démolition, nouvelle construction et rénovation), le secteur d’activité (p. ex. génie civil, résidentiel), l’environnement (extérieur, intérieur) et les moyens de maîtrise ont été développés et interprétés par inférence multimodèle. Ces analyses ont également été effectuées pour les échantillons en poussières respirables afin d’évaluer la présence d’effets potentiellement différents des déterminants de l’exposition. Par ailleurs, le croisement des données en silice cristalline et en poussières respirables a permis d’évaluer les différences entre les pourcentages en silice cristalline dans les échantillons aériens par titre d’emploi, tâche, outil, matériau et moyen de maîtrise à la source.
L’analyse des données en silice cristalline visant la comparaison à une VLE a été réalisée à partir de 1346 mesures couvrant 11 catégories de titre d’emploi. Le modèle contenant toutes les variables a expliqué 22 % de la variabilité des mesures tandis que l’année et la stratégie d’échantillonnage (conformité réglementaire vs surveillance) étaient les variables ayant le plus d’influence sur l’exposition. L’augmentation de la durée d’échantillonnage était associée à des niveaux plus faibles, tandis que les tendances temporelles par stratégie allaient dans des directions contraires avec une diminution de 17 % par an (conformité réglementaire) comparativement à une augmentation de 9 % par an (surveillance). L’utilisation de moyens de maîtrise (sans égard au type spécifique) diminuait les concentrations de 18 % à l’extérieur et de 24 % à l’intérieur. Les moyennes géométriques les plus élevées prédites pour l’année 1999 sur huit heures étaient retrouvées chez les foreurs (0,24 mg/m3), les travailleurs souterrains (0,22 mg/m3), les couvreurs œuvrant sur des toitures en plaques de béton (0,15 mg/m3) et les cimentiers-applicateurs (0,13 mg/m3). Les effets des déterminants pour les poussières respirables, estimés à partir de 1137 mesures, étaient comparables à ceux pour la silice cristalline; l’accord entre les moyennes géométriques prédites pour les deux types de contaminant était toutefois modéré (coefficient de corrélation de Spearman de 0,45).

Pour l’analyse des niveaux associés aux tâches, 1466 mesures de silice cristalline réparties en 27 catégories de tâches ont été sélectionnées. Le modèle contenant toutes les variables a expliqué 60 % des variations des niveaux d’exposition, et l’ensemble des variables contextuelles étaient fortement prédictives. Les moyennes géométriques prédites pour l’année 1998, selon la durée médiane par tâche, étaient plus élevées lors du bouchardage du béton (0,73 mg/m3), du cassage de pièces de maçonnerie avec outils multiples (incluant marteaux perforateurs/piqueurs) (0,59 mg/m3), du forage de tunnels (0,27 mg/m3), du décapage par projection d’abrasif (0,19 mg/m3) et du meulage de joints de brique (0,19 mg/m3). Une diminution importante des concentrations a été observée avec les systèmes d’arrosage (71 %) et d’aspiration des poussières (69 %) intégrés aux outils. Pour les poussières respirables (1566 mesures), les taux d’efficacité des moyens de maîtrise étaient généralement plus élevés avec des réductions de 88 % et 81 % de l’exposition pour ces mêmes catégories. L’accord entre les prédictions pour les deux contaminants était également plus élevé avec un coefficient de corrélation de Spearman de 0,70.

Le pourcentage médian en silice cristalline respirable, calculé à partir de 924 échantillons, était de 11 %. La majorité des pourcentages par catégorie de titre d’emploi, tâche, outil, matériau et moyen de maîtrise à la source étaient entre 6 % et 16 %, la valeur la plus élevée (19 %) étant retrouvée pour la catégorie de matériau « sable ».
L’analyse des données a montré une surexposition généralisée par rapport à la VLE de l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH) et à la norme québécoise, indiquant un risque à long terme de maladies professionnelles pour tous les titres d’emploi à l’étude. Les résultats obtenus pour l’évaluation en fonction de la tâche exécutée montrent que cette stratégie permet une meilleure caractérisation des facteurs associés à l’exposition et un meilleur ciblage des priorités d’intervention pour contrôler les niveaux d’exposition à la silice cristalline sur les chantiers de construction durant un quart de travail.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Jean-François Sauvé
  • Charles Beaudry
  • Denis Bégin
  • Chantal Dion
  • Michel Gérin
  • Jérôme Lavoué
Projet de recherche : 2010-0044
Mis en ligne le : 02 avril 2013
Format : Texte