IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Analyse des stratégies de manutention chez des éboueurs au Québec - Pistes de réflexions pour une formation à la manutention plus adaptée

Résumé

Le travail des éboueurs est exigeant et comporte des risques pour la santé et la sécurité. Diverses solutions ont été mises de l’avant pour atténuer les contraintes de ce travail, la formation étant une avenue populaire. Pourtant, les contenus de formation, quand ils existent, sont souvent théoriques et peu adaptés à la réalité du travail. Suite à une demande d’une municipalité québécoise pour revoir son contenu de formation, l’ergonome en charge du projet a filmé plusieurs éboueurs dans différents contextes. Ce matériel unique a été exploité afin d’observer les stratégies de manutention des éboueurs en situation réelle de travail. L’objectif était de mieux comprendre les façons de faire et leurs avantages afin de contribuer à bonifier les programmes actuels de formation à la manutention dans ce secteur.

Pour ce faire, à partir de matériel vidéo, des observations ont été réalisées pour décrire les différentes stratégies de manutention en fonction du contexte de travail. Ainsi, 13 éboueurs (12 hommes et 1 femme), répartis en trois groupes d’expérience (< 2 ans; 3 à 10 ans; > 10 ans), ont été observés dans des conditions climatiques variées. Au total, 2248 manutentions d’ordures ménagères ont été analysées. Les observations ont été effectuées à l’aide du logiciel ObserverTM.

Les enregistrements vidéo montrent les éboueurs dans diverses situations : la moitié des manutentions sont effectuées dans des conditions de froid intense ou avec une accumulation importante de neige. Pour environ le tiers des manutentions, la chaussée est glissante, des obstacles sont présents, la trémie du camion n’est pas orientée vers les ordures ou en est éloignée. Un peu plus d’une charge sur 10 est lourde, la majorité des ordures étant des sacs.

Certaines stratégies de manutention sont plus fréquemment observées chez les éboueurs. Ainsi, les éboueurs se déplacent peu avec les ordures en main et ils préfèrent les lancer. Même s’il existe un profil dominant de manutention, on note une importante variabilité dans les façons de faire en fonction de différents facteurs (poids des ordures, état de la chaussée, position du camion, etc.). Malgré cette variabilité, les résultats montrent que les éboueurs préconisent une manutention dynamique : on observe un enchaînement des actions qui va de la prise jusqu’au dépôt, chaque action étant en quelque sorte pensée pour la suivante. Cette façon de faire contraste avec le découpage suggéré dans les techniques sécuritaires de manutention où il faut d’abord soulever – en étant face à la charge – et ensuite pivoter pour déposer, une technique à forte dominante statique. Au contraire, les éboueurs semblent vouloir privilégier une position des pieds qui leur assure un passage harmonieux entre la phase de prise et de soulèvement, sans trop d’interruption. D’ailleurs, les éboueurs n’utilisent à peu près pas les méthodes de manutention sécuritaires enseignées dans les formations traditionnelles.

Ces stratégies dynamiques, caractéristiques des éboueurs expérimentés, suggèrent une préoccupation pour l’efficience et la recherche d’un rythme régulier de travail. Dans ce contexte, orienter une formation à la manutention uniquement sur l’enseignement de techniques sécuritaires nous apparaît voué à l’échec. Nous suggérons plutôt que ce serait la compétence de l’éboueur à analyser une situation de manutention et à trouver une solution fonctionnelle pour lui qui le prémunirait des risques, tout en lui permettant de rencontrer les objectifs de production qui lui sont imposés.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Denys Denis
  • Marie St-Vincent
  • Maud Gonella
  • Francis Couturier
  • Roselyne Trudeau
Projet de recherche : 0099-5820
Mis en ligne le : 28 septembre 2007
Format : Texte