IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Utilisation des ponts élévateurs de véhicules hors terre à deux colonnes
Identification de déterminants techniques de stabilité et des déterminants du travail des techniciens automobiles

Résumé

Cette recherche porte spécifiquement sur l’utilisation des ponts élévateurs de véhicules (PEV) hors terre à deux colonnes (HT2C). Les PEV HT2C sont utilisés par les techniciens automobiles lors de l’entretien et de la réparation des véhicules et les amènent à travailler sous ou à proximité d’une charge surélevée de plusieurs tonnes. La mort d’un jeune technicien en 2014 est à l’origine d’une concertation du secteur de la réparation automobile et de ces travaux de recherche. La chute d’un véhicule d’un PEV HT2C est le risque ciblé par cette étude.

De nombreux facteurs sont susceptibles de contribuer à la chute d’un véhicule d’un PEV HT2C. Lors de la préparation du projet, des facteurs d’ordre technique, organisationnel et humain ont été évoqués. Toutefois, les connaissances sur la contribution de ces facteurs à la qualité du levage ou encore celles sur les déterminants du travail étaient limitées. L’objectif de ce projet a donc été d’identifier et de catégoriser les principaux déterminants techniques de la stabilité du levage avec un PEV HT2C et les principaux déterminants du travail sousjacents à l’adoption des méthodes de levage utilisées dans les garages.

Une approche pluridisciplinaire, ingénierie-ergonomie, a été choisie afin de répondre à une problématique liée à la fois au fonctionnement mécanique de l’équipement et à son utilisation. La méthodologie choisie a permis d’explorer plusieurs sources de données : essais de levage avec mesures, entretiens avec différents acteurs du secteur, observations terrain, documentation et tests de grilles d’inspection. Plus spécifiquement, le projet a été structuré autour de trois blocs :

  • Bloc A (deux plans d’expérience complets) : mesurer et comparer la répartition des efforts induits dans les bras de levage et le glissement des patins selon différentes configurations afin d’identifier les facteurs les plus significatifs.
  • Bloc B (sept entretiens préliminaires avec des acteurs clés du secteur, recrutement de cinq garages avec 108 situations de levage observées, 19 entretiens préliminaires et huit entretiens d’approfondissement) : documenter les modes opératoires liés à l’utilisation des PEV HT2C et identifier les déterminants de l’activité de levage fait par des techniciens.
  • Bloc C (agrégation de sources de données issues des différents blocs) : formuler des critères de vérification qualitatifs et quantitatifs pour bonifier l’inspection périodique des PEV HT2C.

Bien que le projet ait été mené par blocs, une coconstruction et une mise en commun des résultats ont été effectuées tout au long du projet afin que chaque bloc alimente les autres.

L’analyse des plans d’expérience du bloc A a notamment permis de conclure que :

  • Lors de certains essais avec le véhicule compact et le PEV le plus usé, une sous sollicitation d’un bras (< 50 kg) a été mesurée révélant un risque de pivotement du bras. Ce phénomène observé avec le PEV plus usé pointe notamment l’importance de l’état du PEV.
  • Pour le véhicule de type camionnette, le chargement de la caisse et le recul par rapport aux colonnes ont conduit à des déséquilibres importants des forces vers les bras arrière (jusqu’à 82 % du total des moments générés). Ce sont des configurations à éviter.
  • Les loquets antichute positionnés de manière asymétrique dans les colonnes mettent plus de charges sur les deux bras vis-à-vis des loquets. Cette configuration n’est pas recommandée.
  • Le positionnement initial des patins est primordial puisque des glissements allant jusqu’à ¼ de la largeur du patin (> 50 mm) ont été mesurés lors des essais. Le blocage des bras n’a pas eu d’effet significatif sur les glissements mesurés.
  • Les glissements mesurés ont été beaucoup plus importants pour les patins repliables en métal que les patins en caoutchouc. Le constat est le même pour les coups de masse latéraux par rapport aux poussées verticales dans le coffre.

La collecte de données du bloc B a permis d’apporter les éclairages suivants. L’utilisation des PEV au Québec s’inscrit dans un contexte caractérisé par des transformations importantes tant au niveau du marché des véhicules que du métier de technicien automobile. Au-delà de ces transformations, les techniciens sont déjà confrontés à une grande diversité de situations de levage dont certaines génèrent des difficultés pouvant s’expliquer par : 1) les caractéristiques et l’état des véhicules et de leurs points de levage (p. ex. : poids et largeur du véhicule, localisation et dégradation des points de levage, absence de points de levage alternatifs clairement identifiés) ; 2) les caractéristiques des ponts utilisés et de leur installation (p. ex. : zones d’atteinte des patins, possibilité limitée d’ajustement des patins, interférences des bras avec le véhicule, inclinaison du plancher) ; 3) le travail à effectuer sur le véhicule (p. ex. : interférence avec position des bras-patins, modification du centre de gravité, possibilité ou non de faire le travail sur un autre type pont) ; 4) le contexte (p. ex. : hiver/glace, période plus intense lors des changements de pneus, organisation du travail axée sur la performance). Les résultats montrent d’ailleurs de fréquentes inadéquations du couple « pont — véhicule à lever ». Ils révèlent aussi que l’apprentissage du levage sécuritaire se fait au fil du temps et que le soutien organisationnel joue un rôle important. Ainsi, les techniciens d’expérience reconnaissent les véhicules et leurs particularités, évaluent la situation, décident de comment les lever ou de ne pas les lever sur leur pont, font des compromis (position du véhicule ou des patins) et utilisent parfois des moyens « maison » (rondelles) pour pallier le manque de polyvalence de leur pont. Aussi, les procédures mises de l’avant par des organismes de prévention pour le levage comptent des étapes distinctes et universelles. Le processus réel est plutôt d’accomplir plusieurs évaluations à la fois et des retours en arrière (repositionner le véhicule ou les patins) lorsque l’accès aux points de levage recommandés pose problème ou que la stabilité semble compromise. Finalement, le personnel encadrant peut jouer un rôle favorable notamment en refusant les véhicules trop lourds, trop rouillés et en impliquant les techniciens d’expérience dans le processus d’achat des ponts.

Les travaux du bloc C, quant à l’inspection des PEV HT2C, ont mené au développement d’une grille d’inspection spécifique aux PEV HT2C incluant 15 points d’inspection décomposés en 42 sous-points d’inspection et 74 critères d’inspection. Pour chaque critère d’inspection, une périodicité d’inspection a été établie au moyen d’un algorithme décisionnel sur la criticité.

La mise en commun de l’ensemble des résultats a permis de formuler des avenues de prévention à différents niveaux. Le premier niveau concerne les fabricants de véhicules et de PEV HT2C quant à la conception de leurs produits respectifs. Le deuxième niveau vise le législateur et plus particulièrement les exigences de formation et d’inspection. Le troisième niveau s’applique aux garages automobiles en tant qu’institution en lien avec les processus d’achat, d’installation et d’entretien des ponts, la sensibilisation des clients ainsi que l’organisation et la répartition du travail pour les cas les plus complexes. Le quatrième niveau s’adresse plus directement au personnel des garages, dont les techniciens et les superviseurs, concernant le contenu des formations sur la diversité des situations et aux conditions pour assurer la stabilité du levage.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
Projet de recherche : 2018-0002
Mis en ligne le : 27 avril 2023
Format : Texte