IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Vêtements de protection chimique contre les aérosols solides : performances des matériaux sous différentes conditions d'exposition et caractérisation des déterminants

Résumé

Historiquement, les mesures jugées prioritaires en hygiène industrielle ont été orientées vers la prévention de l’exposition par les voies respiratoires. Des centaines de valeurs limites d’exposition ont ainsi pu être établies à partir de méthodes d’évaluation quantitative du risque.

La part de l'exposition cutanée dans l’exposition professionnelle aux substances toxiques est pourtant significative. Le National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) estime à 13 millions le nombre de travailleurs exposés à des produits chimiques par la peau avec des coûts annuels induits par le traitement des troubles cutanés évalués à un milliard de dollars. Il n’existe pas de données équivalentes pour le Canada. Au Québec, les maladies de la peau représentent 0,8 % du nombre de maladies professionnelles acceptées sur la période 2013-2015 (contre 86,2 % pour les troubles de l’oreille, 2,8 % pour les maladies respiratoires, et 1,6 % pour les néoplasmes, tumeurs et cancers).

Pour alerter du danger potentiel que peut représenter l’exposition cutanée, des mentions spéciales, les skin notation, peuvent être attribuées à certains contaminants. Au Québec, c’est la mention Pc qui est utilisée dans le Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST). Pour réduire l’exposition cutanée en milieu de travail, l’utilisation d’équipement de protection individuelle est parfois requise. Lorsque nécessaire, il est important de bien choisir son vêtement de protection chimique. Il est recommandé de se référer à la norme CAN/CGSB/CSA-Z16602 : F14 qui traite de la classification, de l’étiquetage et des exigences de performances. Dans cette classification, différents types de vêtements de protection chimique (VPC) sont décrits, et notamment ceux de type 5, devant protéger contre les particules solides aéroportées. Depuis peu, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) met l’accent sur le port de ces vêtements certifiés en cas d’exposition à des particules, toxiques, corrosives ou causant une sensibilisation cutanée (amiante, béryllium, etc.).

L’objectif général du présent projet était de mieux comprendre la résistance chimique des matériaux constituant les VPC de type 5. À plus long terme, ce projet devrait contribuer à faciliter le choix d’un VPC de type 5 plutôt qu’un autre.

Ce projet s’est décliné en plusieurs étapes : 1) sélectionner 20 matériaux de VPC de type 5 parmi ceux disponibles au Québec; 2) les caractériser à l’aide de certaines de leurs propriétés physico-chimiques; 3) mesurer et comprendre leurs performances à l’aide d’indicateurs de confort physiologique et de mesure d’efficacité de protection.

Les vingt matériaux choisis appartiennent à trois grandes familles de non-tissés : neuf microporeux, dix « SMS » composés de couches fibreuses et 1 matériau « flashspun ». Alors que certains modèles de VPC retenus sont certifiés type 5 en Europe par exemple, leurs homologues au Québec ne présentent pas l’étiquetage nous assurant d’une certification. Tant que la certification n’est pas requise par la réglementation, aucune obligation ne s’impose auprès des manufacturiers.

La fouille de données effectuée à l’aide des cartes auto-organisatrices de Kohonen a permis d’objectiver les différences entre ces 3 familles en se basant sur leurs densités surfaciques, leurs distributions de tailles de pores et leurs épaisseurs. Les matériaux microporeux présentent la plus faible porosité alors que les matériaux spunbond/meltblown/spunbond (SMS) présentent la plus élevée.

La mesure de la perméabilité à l’air et à la vapeur d’eau a révélé de grosses différences. Les microporeux ont les plus faibles perméabilités à l’air et l’eau, et les SMS les plus élevés. Le matériau flashspun présente une perméabilité à l’air intermédiaire, et une perméabilité à la vapeur d’eau proche de celles des microporeux. Des tailles de pores importantes semblent associées à une meilleure respirabilité. Même s’il est difficile de juger du confort potentiel des travailleurs, les matériaux SMS apparaissent comme les plus respirants.

La mesure des efficacités de protection des vingt matériaux a été réalisée sur un banc d’essai de type « conduite ventilée », réalisé spécifiquement pour ce projet. Il permet de mesurer de faibles taux de pénétration de particules de chlorure de sodium à de faibles vitesses de filtration, comprises entre 0,05 et 0,3 cm/s.

Les résultats montrent qu’il est possible de scinder les matériaux en trois groupes, du plus efficace au moins efficace. Les deux groupes les moins efficaces sont chacun constitués de quatre matériaux SMS, alors que le groupe le plus efficace rassemble les microporeux, le flashspun ainsi que deux SMS. La caractérisation de la couche filtrante « M » des SMS, a montré que les différences observées entre ces matériaux étaient certainement dues à l’épaisseur de cette couche, plutôt qu’à la taille des fibres la constituant. Par ailleurs, la couche « M » des deux SMS les plus performants a été traitée selon une méthode permettant d’activer le piégeage électrostatique des particules. Le traitement a pour effet d’augmenter l’efficacité générale et d’induire un déplacement de la taille de particule la plus pénétrante de 300-400 nm vers 50-60 nm.

Les coutures présentes sur les différents vêtements laissent passer les particules dans des proportions différentes. Les plus efficaces dans nos conditions d’essai sont les coutures scellées, suivies des coutures liées, et enfin les coutures surjetées. Par ailleurs, l’usure des matériaux simulée en laboratoire ne montre pas d’effet majeur sur les efficacités de protection. Elle augmenterait l’efficacité des SMS.

Les efficacités de protection des quatre matériaux SMS les moins efficaces ont pu être modélisées à l’aide d’équations générales conformes à la théorie de la filtration. Cela permet de projeter l’efficacité des matériaux dans des conditions de vitesses différentes de celles expérimentées. Devant la méconnaissance des vitesses réelles de filtration rencontrées en milieu de travail, c’est certainement une assise importante pour le futur de cette thématique de recherche.

Les données obtenues sont d’une importance majeure pour mieux comprendre l’ampleur de la fuite vers l’intérieur des VPC de type 5. Cependant, tant que les autres voies d’entrée des particules à l’intérieur du VPC ne sont pas mieux caractérisées (interfaces VPC-peau, zips ou coutures), la sélection d’un VPC de type 5 plutôt qu’un autre n’est pas encore possible. Des mesures d’efficacité sur des VPC portés par des sujets humains, pendant lesquelles des mesures de confort physiologique devront également être mises en œuvre, seront nécessaires à cette fin.