IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Évaluation de différents protocoles de gestion d’incident et de soutien aux employés après un incident grave

Résumé

L’industrie ferroviaire canadienne fait régulièrement face à des incidents critiques (IC) associés à des collisions avec des personnes ou des véhicules. Ces incidents peuvent occasionner des blessures graves, ou des décès, parmi les victimes, mais aussi des problèmes de santé mentale chez les ingénieurs et conducteurs opérant les locomotives. Chaque année, environ 20 personnes décèdent lors de collisions avec un train au Québec et une centaine au Canada. À ces incidents mortels s’ajoute un nombre inconnu d’incidents lors desquels des personnes ont été blessées ou des dégâts matériels ont été constatés. La plupart des ingénieurs et conducteurs de train seront exposés au moins une fois dans leur carrière à ce type d’évènement. Ils sont à la fois témoins, victimes, parties prenantes et souvent premiers répondants lorsqu’un tel incident critique se produit.

Une proportion importante des ingénieurs et conducteurs de locomotive retrouvent rapidement un niveau de fonctionnement personnel et professionnel satisfaisant et garde très peu de séquelles aux plans psychologique, social et fonctionnel. Le temps de récupération après un IC peut toutefois être long et les employés requièrent un soutien pendant cette période. De plus, entre 4 % et 17 % de ces employés vivront des troubles plus sévères, incluant la dépression, l’état de stress aigu, l’état de stress post-traumatique ou des troubles anxieux.

Il existe plusieurs approches cliniques efficaces pour réduire les symptômes post-traumatiques et une part importante de la recherche s’est concentrée sur ces traitements. Par contre, les besoins sont moins connus et les ressources sont plus rares pour ceux qui ne développent pas de stress post-traumatique et vivent des effets négatifs importants non diagnostiqués.

Quelques études se sont intéressées aux protocoles de gestion d’IC et de soutien (PGICS) offerts par les employeurs et leurs recommandations visaient souvent à mettre de l’avant des pratiques visant à réduire l’impact potentiel des IC sur les employés et à accélérer le retour au travail. Par contre, ces protocoles, même s’ils sont fondés sur des études des conséquences des IC et des besoins des employés, n’ont pas encore fait l’objet d’évaluations empiriques. De telles évaluations sont nécessaires pour déterminer les éléments importants qui génèrent des effets positifs sur la récupération des employés et pour promouvoir les recommandations fondées sur des connaissances scientifiques.

Ce projet vise à évaluer les PGICS déjà en place au Canada dans l’industrie ferroviaire et leurs effets sur les trajectoires de récupération des employés victimes d’un incident critique et de proposer les pratiques clés pour en réduire les effets négatifs.

Soixante-quatorze ingénieurs et conducteurs ayant vécu un IC ont été recrutés pour participer à l’étude. Ils ont été interviewés à quatre reprises sur une période de six mois tandis que neuf superviseurs répondant aux mêmes critères d’inclusion ont été interviewés deux fois sur une période de trois mois. Une méthode mixte a été employée pour analyser le corpus de données, combinant des analyses statistiques et qualitatives afin de bien comprendre les liens entre les incidents critiques, les PGICS et la récupération post-IC. Les perceptions et besoins des superviseurs qui se retrouvent en première ligne de l’application des protocoles et de l’offre de soutien sont également présentés.

Les résultats indiquent que les PGICS existants sont partiellement implantés ou le sont de façon inégale selon les employeurs, les provinces et les types d’IC. Entre autres, dans les IC sans décès,  les protocoles de gestion et de soutien ne sont pas complètement appliqués, même si la santé des employés est affectée.

Les IC ont des effets très variés sur les employés. L’équipe de recherche a pu établir cinq trajectoires de récupération : pas d’effets négatifs, effets négatifs qui disparaissent dans le mois suivant l’IC, effets négatifs qui diminuent régulièrement et disparaissent dans les trois mois suivant l’IC, effets négatifs qui atteignent un plateau entre un et trois mois avant de disparaître, effets négatifs qui perdurent après six mois.

Dans l’ensemble, les deux tiers des employés voient les effets négatifs de l’IC se dissiper plus ou moins rapidement dans le mois suivant l’IC, 20 % des travailleurs ressentent toujours des effets significatifs après trois mois (trajectoire de plateau et d’effets perdurant après 6 mois) alors que cette proportion atteint 13 % après six mois. Ces effets sont non négligeables et affectent la cognition (concentration, rumination, distraction), l’énergie (fatigue, difficultés de sommeil) et les émotions (culpabilité, deuil) des employés. Ils peuvent également interférer avec leur capacité de faire leur travail de façon optimale.

Les différences dans l’application des PGICS permettent d’évaluer le rôle de ces actions dans le processus de récupération post-IC. Les résultats de cette étude montrent que les protocoles de gestion peuvent avoir un effet sur le processus de récupération. Les éléments suivants ont des effets qui favorisent une accélération du processus de récupération : la présence d’un superviseur sur les lieux; la prise en charge de la scène de l’IC par un superviseur; une attitude respectueuse et empathique des différents intervenants; l’absence de pression sur les employés pour qu’ils poursuivent leur travail ou qu’ils reviennent prématurément; la démobilisation (retrait de la scène d’IC et retour à la maison) et la prise de congés automatiques; l’offre proactive de soutien par le programme d’aide aux employés; une procédure claire de retour au travail et d’évaluation des capacités de l’employé à reprendre sa vie professionnelle; une offre différée de soutien en cas de besoin; un suivi effectué après le retour et un contexte de travail positif.

L’étude montre donc que la gestion de l’IC et le soutien offert par l’employeur sont des facteurs importants favorisant la récupération des employés. Ce sont des attitudes et actions sur lesquelles les employeurs peuvent agir et qui s’appliquent relativement facilement, sans engendrer de coûts prohibitifs pour les entreprises; alors que pour d’autres facteurs, comme la présence de soutien social ou la complexité de l’IC, les employeurs ont moins d’emprise. De plus, les entreprises ferroviaires ont des protocoles qui incluent la majorité des actions considérées comme efficaces. L’application rigoureuse de ces protocoles constitue la première étape vers l’amélioration des pratiques et donc de l’atténuation des effets négatifs des IC.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Cécile Bardon
  • Brian L. Mishara
  • Angelo Soares
Projet de recherche : 2013-0039
Champ de recherche : Réadaptation au travail
Mis en ligne le : 31 janvier 2018
Date de mise à jour : 15 février 2018
Format : Texte