IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Troubles musculosquelettiques - Revue réaliste sur les bases théoriques des programmes de réadaptation incluant le milieu de travail

Résumé

Les troubles musculosquelettiques (TMS) constituent une des principales causes d’incapacité au travail. Au cours des dernières décennies, plusieurs programmes de réadaptation au travail ont été démontrés efficaces. Cependant, le niveau de mise en œuvre de ceux-ci reste encore peu élevé. Une raison pouvant expliquer ce faible niveau d’implantation est le fait que ces programmes sont complexes et doivent prendre en compte des contextes sociaux, culturels et légaux très variés. Par conséquent, il n’est pas toujours clair quelles composantes des programmes sont efficaces (phénomène de la boîte noire) et quelles sont les théories sous-jacentes utilisées. Ainsi, il existe un besoin réel de mieux comprendre ce qui fonctionne dans ces programmes, pour qui, dans quels contextes, pourquoi et comment. Les trois objectifs spécifiques de cette étude étaient : 1) expliquer quels sont les éléments de contexte et les composantes de ces programmes qui fonctionnent, pour qui et dans quelles circonstances; 2) définir les théories sous-jacentes aux programmes de réadaptation au travail; et 3) proposer des recommandations pragmatiques pouvant être utilisées par les différents acteurs impliqués dans les programmes de réadaptation de travail.

Une revue réaliste portant sur un ensemble de programmes de réadaptation au travail incluant une intervention en milieu de travail a été réalisée. Selon cette méthode, les programmes se caractérisent par trois éléments principaux : le contexte (C), qui représente les caractéristiques des conditions dans lesquelles les programmes sont mis en place et les composantes de ces derniers; les mécanismes (M), qui décrivent ce qui fait en sorte qu’un programme parvient à atteindre ses résultats; et les résultats (O, pour outcomes), soit les effets prévus et imprévus d’un programme, résultant de l’interaction de différents mécanismes, dans différents contextes.

Les études originales retenues pour cette étude (n=8) consistaient en des essais contrôlés inclus dans une revue systématique (van Oostrom et coll., 2009) et sa mise à jour récente (van Vilsteren et coll., 2015). Les articles donnant des informations complémentaires sur les études originales retenues ont complété le corpus (n=16). Au total, 24 articles ont été analysés en profondeur. Une cinquantaine de configurations ont été élaborées afin de cerner les associations probables entre les contextes, mécanismes et résultats. Le logiciel d’analyse qualitative Atlas.ti a été utilisé. Une recherche de demi-régularités, à partir des configurations C-M-O élaborées, a permis de faire ressortir des convergences. Enfin, un sondage web portant sur la clarté, la pertinence, l’utilité, l’exhaustivité et la faisabilité de recommandations découlant des résultats a été réalisé auprès de 31 utilisateurs potentiels.

En ce qui concerne l’objectif 1, cinq macrocomposantes d’intervention et leurs composantes spécifiques ont été dégagées pour divers types de travailleurs (manuels ou sédentaires), sans égard au site du TMS (dos ou membre supérieur) et aux diverses phases du TMS (aiguë, subaiguë ou chronique). Il s’agit de : 1) l’évaluation (p. ex. : évaluation globale initiale tenant compte de différentes dimensions de l’individu, inclusion d’un questionnement sur la situation de travail), 2) la temporalité (intervention en milieu de travail s’amorçant rapidement, suite au début de la réadaptation), 3) la diversité des acteurs (p. ex. : mobilisation d’acteurs provenant de différents systèmes, participation d’un acteur externe à l’entreprise pour rapprocher les intérêts), 4) le partage d’informations (p. ex. : coordination intersectorielle par un responsable des communications et des actions en lien avec la gestion du dossier du travailleur, entente générale des acteurs impliqués) et 5) les accommodements (p. ex. : adoption d’une approche de résolution de problèmes, participation du supérieur à la mise en œuvre de solutions). Certains éléments de contexte apparaissent néanmoins déterminants pour que ces composantes produisent des effets positifs : des compétences en analyse de l’activité de travail chez un professionnel proche de l’équipe clinique ou intégré à celle-ci, des incitations pour les entreprises à collaborer à une intervention précoce en milieu de travail ainsi qu’un responsable de la coordination intersectorielle qui interagit fréquemment et  efficacement avec l’ensemble des parties concernées connecté.

En ce qui concerne l’objectif 2, six grands groupes de mécanismes, abordant des dimensions psychoaffectives, cognitives et identitaires, ont été définis. Il s’agit de : 1) la rassurance du travailleur, 2) la satisfaction du travailleur, 3) la préservation de l’identité de travailleur, 4) la cohérence entre les besoins du travailleur et les interventions, 5) la proactivité et la mobilisation des acteurs et 6) la perception, par les acteurs de l’environnement, d’une pression sur eux. Les effets proximaux, qui sont les mécanismes se situant le plus près de l’objectif de retour au travail, ont également été regroupés selon leurs affinités en huit grands groupes et concernent des dimensions similaires. Il importe de savoir que tous ces groupes de mécanismes et d’effets proximaux sont dits transversaux, c’est-à-dire qu’ils se déploient dans plus d’une macrocomposante à la fois. En ce qui concerne l’objectif 3, les recommandations proposées ont majoritairement été jugées claires, pertinentes, utiles et exhaustives par les participants. Par contre, toutes, à l’exception de celles rattachées à la macrocomposante de l’évaluation, ont été jugées difficiles à mettre en œuvre dans les milieux de pratique.

Pris séparément, les résultats de cette étude sont corroborés par de nombreux écrits scientifiques. Cependant, cette étude est originale en ce qu’elle énonce que ce qui fonctionne repose nécessairement sur une action intersectorielle entre des intervenants de différents secteurs (santé, milieux de travail, assurance), finement coordonnée et nécessitant une forme de leadership partagé entre les acteurs pour atteindre l’objectif de retour au travail. Dans cette perspective, un travail supplémentaire doit être fait pour mieux cerner les conditions permettant le déploiement optimal de cette action intersectorielle. De plus, nos résultats révèlent une imbrication des mécanismes. Ils sont plus intimement associés à l’intervention réalisée en milieu de travail qu’à celle réalisée en clinique. Ainsi, ces mécanismes s’inscrivent résolument dans la perspective où l’expérimentation, par le travailleur, de diverses situations dans son milieu de travail, s’avère primordiale et va influencer directement ses représentations et, par conséquent, ses actions. Ces résultats concordent avec le modèle d’autorégulation de Leventhal et coll. (1980, 2013) et les travaux de Coutu et coll. (2007, 2010, 2011) et s’éloignent d’un modèle purement médical de prise en charge des TMS. Cependant, il demeure impossible d’avancer que, pour produire l’effet désiré, toutes les composantes d’intervention dans certains contextes doivent être présentes simultanément, ni que tous les mécanismes doivent être à l’œuvre de façon concomitante. Toutefois, le retour au travail ne peut être conçu comme un produit d’une mécanique linéaire. Il doit plutôt être conçu comme le résultat de processus dynamiques mobilisant des boucles de rétroaction et des interactions multiples. Cette idée d’« effet d’entraînement » montre l’interdépendance et la synergie des composantes d’intervention et des mécanismes dans certains contextes.

Trois pistes de recherche s’imposent pour le futur : 1) la bonification des composantes d’intervention qui fonctionnent avec leurs éléments de contexte spécifiques, en poursuivant avec la même méthode mais en élargissant les critères d’admissibilité à plus d’un type de devis; 2) l’approfondissement des mécanismes à partir de travaux en psychologie, en sociologie et en anthropologie; 3) l’expérimentation et l’évaluation des composantes d’intervention qui fonctionnent, tout en tenant compte d’éléments de contexte, auprès d’une autre population de travailleurs (p. ex. : celle ayant des troubles mentaux communs). En conclusion - et bien que cela semble poser des défis importants - il est essentiel de reconnaître l’interdépendance des différents secteurs mobilisés par le retour au travail et leurs influences réciproques et, si nécessaire, d’orchestrer leur mobilisation. Cette constatation confirme le caractère éminemment complexe, dynamique et social de toute démarche visant à favoriser le retour au travail des travailleurs ayant un TMS.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Marie-José Durand
  • Chantal Sylvain
  • Jean-Baptiste Fassier
  • Dominique Tremblay
  • William S. Shaw
  • Johannes R. Anema
  • Patrick Loisel
  • Marie-Christine Richard
  • Michael Bernier
Projet de recherche : 2012-0008
Champ de recherche : Réadaptation au travail
Mis en ligne le : 20 janvier 2017
Format : Texte