IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Utilisation des prothèses auditives en milieu de travail bruyant

Résumé

Le bruit est encore très présent en milieu de travail. Plusieurs travailleurs vivent donc quotidiennement avec une surdité professionnelle. D’autres peuvent par ailleurs présenter une surdité d’origine non professionnelle et enfin, la population active vieillissante présente plus de risques de souffrir d’une perte auditive. Une surdité peut compromettre la réalisation efficace des tâches et la sécurité du travailleur et celle d’autrui lorsqu’elle est accompagnée de difficultés à percevoir des signaux sonores, à comprendre la parole en présence de bruit et à bien localiser la provenance des sons dans l’espace. Afin de maintenir une juste perception de l’environnement sonore et de réaliser leur travail de façon sécuritaire, efficace et autonome, une solution envisageable pour les travailleurs atteints d’une surdité pourrait être de porter des prothèses auditives. Une telle option soulève par contre des questionnements importants quant à la possibilité de ces prothèses de réellement optimiser les capacités auditives requises des travailleurs pour la réalisation de leurs tâches et d’amplifier les sons utiles à des niveaux qui demeurent sécuritaires afin de ne pas exacerber la perte auditive.

Peu d’études scientifiques ont porté sur la problématique du port des prothèses auditives en milieu de travail bruyant. Ainsi, on connaît très peu l’ampleur de cette pratique et les risques et bénéfices qui y sont associés. Cette étude impliquant une quête d’information auprès des professionnels de la santé, des travailleurs et des manufacturiers ainsi qu’une revue de la littérature scientifique, vise donc à : 1) explorer la fréquence du port de prothèses auditives en milieu de travail bruyant; 2) examiner le risque d’aggravation de la surdité des travailleurs lors de l’utilisation de prothèses auditives en milieu de travail bruyant et établir des méthodes de mesure valides pour évaluer les risques de suramplification; 3) déterminer si les prothèses auditives peuvent être utilisées pour soutenir les besoins d’écoute et de communication, sans risque d’aggraver la surdité ni de compromettre la sécurité et 4) établir si d’autres technologies d’amplification et de protection (p. ex. : protecteurs à rétablissement du son) peuvent contribuer à améliorer les performances auditives au travail, ou du moins à ne pas les détériorer.

Bien que cette étude n’ait pas permis de déterminer avec précision le nombre de travailleurs utilisant des prothèses auditives en milieu de travail bruyant, bon nombre de professionnels de la santé rapportent avoir vu, au moins une fois au cours des cinq dernières années, un travailleur qui utilise ses prothèses en milieu bruyant ou qui s’interroge sur la possibilité de le faire. Parmi les obstacles à une gestion adéquate de ces cas, on rapporte, entre autres, un manque de méthodes de mesure valides du risque de suramplification, de lignes directrices claires, ainsi que de mécanismes de consultation et de collaboration entre les divers professionnels impliqués. Le partage de l’information entre les professionnels au regard des contextes et des niveaux sonores, des exigences du poste de travail et des solutions envisageables, est particulièrement limité. Le rôle de chacun des professionnels est méconnu, ce qui n’encourage pas l’interdisciplinarité. Dans la plupart des cas, le professionnel tente de préserver l’audition résiduelle du travailleur en décourageant le port de prothèses auditives en milieu de travail bruyant, mais, ce faisant, il peut alors sous-estimer le besoin d’entendre de ces travailleurs pour des questions d’efficacité, de sécurité et de communication.

Une revue de la littérature, incluant celle sur les technologies actuelles, n’a pas permis de tirer de conclusion claire sur le risque d’aggravation de la surdité associé au port de prothèses auditives, ni de déterminer une méthode valide, fiable et standardisée pour documenter ou prédire ce
risque. Par ailleurs, les recommandations destinées aux travailleurs demeurent assez limitées et ne sont généralement pas appuyées par des données probantes.

Outre la suramplification, les professionnels de la santé s’interrogent également sur la possibilité que les prothèses auditives compromettent la sécurité des travailleurs en réduisant certaines capacités auditives nécessaires pour l’exécution autonome et sécuritaire des tâches en milieu de travail. Selon le type d’ajustement des paramètres, on peut parfois noter une baisse de performance sur le plan de la compréhension de la parole en présence de bruit lors du port des prothèses comparativement à une condition sans prothèse. Certains ajustements peuvent toutefois contribuer à améliorer cette capacité dans certaines situations, comme c’est le cas avec l’utilisation des microphones directionnels qui amplifient davantage les sources sonores placées directement devant un individu plutôt que celles qui sont derrière lui, alors que d’autres, comme les réducteurs de bruit, contribuent plutôt à améliorer le confort d’écoute et la qualité sonore, tout en réduisant l’effort exigé pour entendre. La littérature scientifique est moins concluante sur l’effet des prothèses auditives quant à leur capacité à localiser des sons dans l’espace, mais, en général, les performances sont meilleures sans leur port. Bref, les données scientifiques actuelles ne permettent pas de démontrer clairement que les prothèses auditives contribuent à améliorer les capacités auditives requises, tant pour l’exécution autonome des tâches de travail que pour assurer la sécurité des travailleurs malentendants. Ces données ne permettent pas non plus d’affirmer avec certitude que l’utilisation de prothèses auditives représente un risque pour la sécurité de ces travailleurs.

Une revue des options alternatives ou supplémentaires au port de prothèses auditives devient alors pertinente. Malgré les avancées technologiques remarquables à certains égards dans le domaine des protecteurs auditifs actifs et leur appréciation généralement favorable de la part des travailleurs, il ne semble toujours pas exister de dispositif qui puisse améliorer systématiquement les capacités auditives. D’autre part, un ajustement souple et personnalisé des protecteurs auditifs actifs demeure limité comparativement à ce qui est possible avec les prothèses auditives. Il est par ailleurs difficile de sélectionner un produit adapté aux besoins du travailleur malentendant et du milieu de travail en raison d’une accessibilité limitée de la part des fabricants quant aux paramètres et au fonctionnement de leurs produits. Une explication possible est l’absence de normes spécifiant les conditions de test, les paramètres à évaluer ainsi que l’information que doit contenir la fiche technique du protecteur actif. Ces éléments, ainsi que la prise en compte de l’aspect sécurité, commandent d’étudier davantage leur contribution avant d’en proposer systématiquement l’utilisation à des travailleurs malentendants.

Aux termes de cette étude, l’équipe de chercheurs préconise le principe de précaution en recommandant de ne considérer le port de prothèses auditives qu’en dernier recours, après avoir envisagé tout d’abord la réduction du bruit au poste de travail puis les autres avenues telles que la modification des exigences d’écoute, de communication et de localisation à ce poste et l’adaptation du poste de travail incluant le recours possible à une autre modalité sensorielle (vibratoire, visuelle). Dans un tel cas, il est primordial que le risque de suramplification et la sécurité du travailleur soient pris en compte et soient gérés par l’ensemble des professionnels concernés par cette problématique. En l’absence de lignes directrices claires et appuyées par des données probantes, il est d’autant plus important que ces professionnels se consultent, se coordonnent et se concertent afin de dégager les recommandations les mieux adaptées pour répondre à l’objectif de ne pas compromettre la santé et la sécurité du travailleur ni celles des autres.

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Tony Leroux
  • Chantal Laroche
  • Christian Giguère
  • Jérémie Voix
Projet de recherche : 2011-0014
Mis en ligne le : 20 janvier 2017
Date de mise à jour : 23 juillet 2018
Format : Texte