IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Reproduction d'environnements sonores industriels en vue d’applications aux études d’audibilité des alarmes et autres signaux : preuve de concept

Résumé

Les milieux industriels bruyants nuisent à l'audibilité des alarmes et avertisseurs sonores et compromettent donc la sécurité des travailleurs en présence de machineries en mouvement ou dangereuses.

Pourtant, dans plusieurs cas d’accident, les véhicules impliqués disposaient d'alarmes sonores de recul. On constate généralement que l’efficacité des alarmes sonores dépend de l’environnement sonore et qu’elles sont loin d’être infaillibles. La cause exacte est difficile à déterminer puisque la perception et la localisation sonores dans un environnement sonore complexe sont des phénomènes encore en grande partie mal connus et relativement peu étudiés. Même si des études de perception et de localisation des alarmes ont déjà été effectuées dans un contexte de santé et de sécurité du travail, ces études avec sujets humains sont difficiles à réaliser sur les sites de travail.

Cette étude avait comme objectif d’examiner la possibilité d'utiliser les méthodes actuelles de reproduction de champs sonores en vue de recréer, en laboratoire, des environnements sonores représentatifs d'environnements de travail, évitant de ce fait les problèmes multiples liés aux tests sur le terrain. La possibilité d'utiliser de telles techniques pour effectuer des essais avec sujets humains dans un futur rapproché est envisagée. Un exemple concret de tels essais serait l'étude de la localisation et de l'audibilité des alarmes de recul dans des environnements sonores simulés en condition contrôlée pour effectuer des études paramétriques détaillées avec des sujets humains.

Ce projet était divisé en deux grandes parties. Dans un premier temps, deux environnements sonores représentatifs (un intérieur et un extérieur) ont été mesurés avec une antenne de 85 microphones, afin de capter le paysage sonore, mais aussi la distribution spatiale du son pour bien reconstruire les directions d'arrivée de l'ensemble des sons qui forment l’environnement sonore. Deux sites ont été visités pour les captations : une carrière de chaux à ciel ouvert (Graymont, Bedford) et un atelier de fabrication et d’assemblage (Agrigratte, St‑Jacques). Sur chaque site, des environnements sonores mettant en présence plusieurs types de sources sonores ont été captés pour obtenir plusieurs heures d'enregistrement.

Dans un deuxième temps, en laboratoire cette fois, les environnements sonores ont été reproduits sur la base de différents algorithmes qui ont été comparés. Ces reproductions furent effectuées avec le système de la Wave Field Synthesis (WFS) du Groupe d’acoustique de l’Université de Sherbrooke (GAUS) qui est constitué de 96 haut-parleurs et de quatre caissons de grave. Ce système permet autant l’utilisation de techniques classiques de reproduction de champs sonores que le développement, comme ce fut le cas pour cette étude, de nouveaux algorithmes ou outils selon les besoins. Avant de réaliser les mesures et les évaluations physiques des environnements sonores reproduits en laboratoire, des simulations théoriques ont aussi été réalisées pour comparer les algorithmes, déterminer les meilleurs paramètres et visualiser les résultats pour trois cas simples : a) deux sources en champ libre, b) une source en mouvement, et c) un environnement diffus. Selon ces simulations, il a été observé que les deux meilleurs algorithmes sont : 1) les approches par problème inverse avec sources de reproduction sphériques et 2) le « lasso » avec sources de reproduction sphériques. Pour évaluer de façon objective la reproduction, différentes métriques ont été utilisées et rapportées dans ce rapport : spectres au microphone de référence, niveaux de pression acoustique à l'antenne de microphones, cartographies acoustiques spatiales en fonction du temps et, dans le cas des simulations, champs de pression sonore instantanés. Il a été démontré que les méthodes proposées sont capables de reproduire les environnements sonores mesurés avec une antenne de microphones. De plus, différentes démonstrations ont été réalisées pour écoute lors des visites du GAUS. Le but de ces démonstrations est de fournir des exemples propices à l'écoute pour illustrer en pratique tout le potentiel des technologies et méthodes testées dans un contexte d'étude en relation avec la perception sonore dans le domaine de la santé et de la sécurité du travail.

Plusieurs conclusions émergent de cette étude. Premièrement, à l'heure actuelle, la mise en œuvre par méthode inverse avec sources de reproduction sphériques offre les meilleurs résultats en matière d'évaluation objective. Deuxièmement, cette approche, quoique physiquement correcte et valable, peut parfois donner une impression de diffusion excessive (sur la base d'écoutes informelles). L'algorithme du « lasso » a été testé pour potentiellement pallier ce problème en limitant simultanément le nombre de sources de reproduction actives. Malgré le fait que le « lasso » soit plus exigeant que l'approche par problème inverse en ce qui a trait aux ressources de calcul, plusieurs gains ont été observés : une grande capacité à resserrer l'image spatiale recréée et la possibilité de travailler avec moins de microphones pour la captation. L’algorithme du « lasso » pourrait grandement simplifier l'exercice de captations futures sur des sites souvent encombrés et fort achalandés.

La conclusion principale est que le système de la WFS du GAUS peut être utilisé pour la reproduction d'environnements sonores représentatifs des milieux de travail pour essais futurs avec sujets humains. Aussi, une des pistes de recherche pourrait être l’utilisation d’autres métriques physiques, ou psychophysiques, pour la réalisation de l’évaluation physique (sans sujet humain) de la qualité de reproduction ou pour la caractérisation des environnements cibles et reproduits. Ce sont des ouvertures pouvant conduire à des recherches technologiques futures. Les retombées de ce projet de recherche sont la création et la validation d’une plateforme de simulation acoustique des environnements sonores de travail qui est maintenant disponible pour la réalisation de vastes campagnes d’étude, avec sujets humains en différentes positions (debout, assis, en mouvement, et même avec plan d’écoute à différentes hauteurs), de perception et de localisation des alarmes et autres avertisseurs sonores, qui sont importants en matière de sécurité en milieu de travail. Il pourrait en émerger plusieurs conclusions et recommandations pratiques pour accroître la perceptibilité et la localisation de ces avertisseurs puisque des études avec paramètres d’environnement et de sources contrôlés pourront maintenant être réalisées de façon sécuritaire avec des travailleurs.