IRSST - Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Développement et application d’une approche pour l’évaluation de l’exposition des travailleurs agricoles aux pyréthrinoïdes

Résumé

L’exposition aux pyréthrinoïdes est une préoccupation croissante en milieu de travail. Cette classe de pesticides est maintenant abondamment utilisée en agriculture dans toute une variété de cultures et tend à remplacer les insecticides organophosphorés. Bien qu’utilisés comme insecticides en raison de leur action neurotoxique, ils peuvent causer ces mêmes effets chez les humains. L’exposition à ces insecticides a aussi été reliée à des changements immunitaires et endocriniens. Les travailleurs peuvent être largement exposés aux pyréthrinoïdes lors d’épandage ou de travaux dans des zones traitées. Par contre, il n’est pas toujours évident de déterminer les doses réellement absorbées en milieu de travail étant donné les conditions d’exposition variées et potentiellement combinées notamment par les voies respiratoires et cutanées auxquelles les agriculteurs font face. La surveillance biologique par la mesure urinaire de métabolites est maintenant reconnue par la communauté scientifique comme une approche privilégiée pour évaluer l’exposition à ce type de produit. L’interprétation des données de surveillance biologique nécessite toutefois une bonne connaissance du devenir (comportement toxicocinétique) de la substance d’intérêt dans l’organisme humain afin de pouvoir faire le lien entre les niveaux de biomarqueurs chez les travailleurs et les doses réellement absorbées. Dans le cas des pyréthrinoïdes, les données cinétiques humaines et l’exposition réelle des travailleurs demeurent deux aspects encore très peu documentés. L’objectif général du présent projet était de raffiner, de valider et d’appliquer une approche toxicocinétique pour l’évaluation de l’exposition aux pyréthrinoïdes chez les travailleurs agricoles

 

Ce projet s’est décliné en trois volets : 1) une étude cinétique contrôlée chez des volontaires exposés de façon aiguë à une faible dose (dose de référence orale) de deux des pyréthrinoïdes les plus utilisés, la perméthrine et la cyperméthrine; 2) le raffinement d’un modèle toxicocinétique pour ces pyréthrinoïdes, à l’aide des données de l’étude cinétique contrôlée, et visant à servir d’outil privilégié pour reconstituer les doses absorbées chez les travailleurs; 3) une étude de surveillance biologique chez des travailleurs agricoles (culture légumière) suivant un épisode d’exposition aux pyréthrinoïdes et reconstruction des doses absorbées à l’aide de la modélisation toxicocinétique et de mesures urinaires sériées.

 

L’étude chez des volontaires exposés de façon contrôlée aux pyréthrinoïdes a permis d’acquérir de nouveaux profils urinaires et sanguins pour combler des incertitudes dans un modèle toxicocinétique de la perméthrine et de la cyperméthrine. La modélisation a confirmé que les paramètres cinétiques étaient similaires pour ces deux substances. Un modèle unique a donc pu être utilisé afin de prédire les profils temporels tant de la perméthrine que de la cyperméthrine et de leurs métabolites suivant différentes voies d’exposition uniques ou combinées (voies orale, cutanée ou respiratoire) et divers scénarios temporels d’exposition (uniques ou répétés, continus ou intermittents). Cette modélisation suggère également que le modèle pourrait être adapté pour simuler la cinétique d’autres pyréthrinoïdes et leurs métabolites et ainsi servir d’outil générique pour reconstruire les doses absorbées et prédire les voies principales d’exposition pour un ensemble de pyréthrinoïdes.

 

L’étude chez les travailleurs agricoles a par ailleurs permis de mieux caractériser les profils temporels urinaires typiques de biomarqueurs d’exposition à la perméthrine et à la cyperméthrine chez des agriculteurs en culture légumière au Québec, selon les tâches effectuées (épandage, inspection, cueillette, désherbage), et évaluer la variabilité intra et intersujets. Elle a également conduit à cerner certains facteurs pouvant avoir un impact sur les niveaux biologiques observés et à documenter des stratégies d’échantillonnage appropriées pour la biosurveillance en routine. En particulier, la tâche professionnelle principale était un prédicteur des niveaux de biomarqueurs d’exposition observés. Les applicateurs de pesticides présentaient généralement des valeurs biologiques plus élevées que les travailleurs effectuant des tâches telles que le désherbage, la récolte ou l'inspection des champs. Une attention particulière devrait donc être portée à ce premier groupe de travailleurs agricoles dans des études futures ou pour le suivi en routine. Néanmoins, les résultats obtenus montrent également qu’un travail dans une zone traitée (inspection, cueillette ou désherbage) peut accroître l’exposition aux pyréthrinoïdes, ce qui indique que les pratiques de travail ainsi que le port d’équipement de protection individuelle devraient être évalués de façon plus systématique pour l’ensemble des agriculteurs.

 

Les données biologiques recueillies dans le présent travail montrent aussi l’importance de mesurer plusieurs métabolites, en particulier le trans-DCCA et le 3-PBA, et d'effectuer des collectes sériées pour bien établir le niveau d’exposition professionnelle, les voies d’exposition principales ainsi que les doses absorbées correspondantes chez des individus ciblés. Basée sur les profils temporels de DCCA et de 3-PBA observés chez les volontaires et les travailleurs les plus exposés, l’alternative pour le suivi biologique en routine au sein d’un groupe ou pour la comparaison des niveaux entre groupes d’exposition homogènes, serait d’effectuer une collecte urinaire préexposition (après une période d’au moins 48 h sans exposition au pesticide) ainsi qu’une collecte en fin de quart de travail après le début d’un épisode d’exposition suivie d’une collecte de la première urine du matin suivant. Cela permettrait, en premier lieu, d’obtenir des niveaux de base d’exposition puis, en second lieu, de cibler les niveaux d'excrétions maximales postexposition, étant donné que les profils observés chez les volontaires présentaient un pic quelques heures après l’exposition et que ceux des travailleurs les plus exposés montraient une excrétion maximale atteinte 18 à 32 h suivant le début d'une période d'application ou de travail dans une zone traitée.

 

La modélisation toxicocinétique effectuée dans ce travail s’est aussi avérée utile pour inférer sur les voies d’exposition principales chez les travailleurs et établir les doses absorbées correspondantes à partir d’ajustements aux profils urinaires observés chez les travailleurs. Elle a en particulier montré que l’exposition orale aux pyréthrinoïdes par inadvertance et associée au travail devrait faire l’objet d’une évaluation plus détaillée, ce qui est directement relié aux pratiques et à l’hygiène de travail. La modélisation a de plus été utilisée pour dériver des valeurs de référence biologiques à ne pas dépasser pour prévenir des effets sur la santé. Bien que plusieurs travailleurs aient présenté des niveaux biologiques supérieurs aux concentrations observées dans la population générale canadienne, ces valeurs étaient toutes en dessous de ces seuils à ne pas dépasser pour limiter les risques d’effets sur la santé. Il en était de même lorsque les doses absorbées reconstruites à l’aide du modèle ont été comparées à des doses de référence absorbées à ne pas dépasser pour prévenir des effets sur la santé (soit la dose absorbée correspondant à la dose de référence [RfD]) établie par l’US Environmental Protection Agency ou la « Acceptable Operator Exposure Level » [AOEL]) établie par la Commission européenne).

Informations complémentaires

Catégorie : Rapport de recherche
Auteur(s) :
  • Michèle Bouchard
  • Mylène Ratelle
  • Jonathan Côté
Projet de recherche : 2010-0009
Mis en ligne le : 25 octobre 2016
Format : Texte